La scène  se déroulait dans une chambre. L'enfant ange, emmêlée dans les draps, tombée au sol sans pouvoir cacher sa peur ni sa surprise de se réveiller en ces lieux. Ses yeux fixaient, écarquillés de terreur et d'incompréhension, la démoniaque créature, entièrement nue, qui roulait paresseusement sur le ventre pour la contempler, le menton enfoncé dans le matelas et une mèche de cheveux enroulée autour de son doigt. Son regard avait quelque chose du félin repu qui s'amuse avec la souris encore vivante, attendant d'avoir faim pour la dévorer et la faisant rouler entre ses pattes en attendant.

« Approches, Anna. N'ai pas peur voyons, viens ici. Plus près. Voilà, charmante enfant, mets -toi donc sous les couvertures, je ne voudrais pas que tu attrapes mal. Tu dois être perdue, pauvre petite chose abandonnée. Mais ne crains rien je suis là désormais. Je m'appelle Mary. Je suis celle qui t'as acheté. Désormais, tu es à moi. »

Ces paroles pouvaient sembler décalées, surtout au siècle actuel. Mais Mary Austen ne plaisantait jamais sur ce genre de choses.

« Tu ne te souviens donc pas, petite chose ? Le Ghoul Restaurant. J'ai un papier signé qui prouve que tu es ma propriété. Mais rassures-toi, enfant. Je n'ai pas l'intention de te traiter en esclave. Tu ne manqueras de rien, tu seras bien traité et auras de jolies toilettes. En revanche, si tu essaies de t'enfuir, cela me fera de la peine vois-tu ? Tu ne voudrais pas que je sois triste n'est-ce pas Anna ? Sinon je pourrais bien avoir envie de noyer mon chagrin en tuant le temps... ou ta famille. »

Ses lèvres s'étirent en un sourire, alors qu'elle se délecte des frémissements de son nouveau jouet. Elle est si jolie, si précieuse. Bien plus que les précédents. Oh, mais les autres n'étaient de que des victuailles, plus raffinées que celles que Mary chassait par elle-même certes, mais de la simple nourriture. Mais non. Anna serait plus. Anna avait ce qu'il fallait pour la divertir, elle le sentait. Cela promettait d'être follement amusant. Et puis, si jamais en fin de compte ce n'était point le cas, elle n'aurait qu'à la manger. Oui, voilà qui lui semblait correct. Mary se leva du lit, le drap glissant le long de ses formes et vient prendre le visage de la jeune enfant entre ses doigts, s'approchant d'elle pour murmure doucement à ses oreilles.

« Donc sois une gentille petite. Sois sage Anna et tu seras une poupée heureuse, je te le promets. »

Ces mots, ce n'était pas elle qui les avait prononcé la première. Mary se souvenait encore du jour ou ils lui avaient été adressé. Elle était alors une goule faible, une enfant impuissante, une prisonnière désillusionnée. Pourtant, elle n'était pas comme ça, avant. Elle était Mary Austen, fille unique gâtée par son père et sa mère, riche héritière pour qui l'avenir s'annonçait prometteur. Jusqu'à ce jour, année de ses huit ans, ou une goule l'arracha à sa vie paisible et parfaite de petite princesse pour en faire l'un de ses jouets. Elle passa d'une chambre luxueuse et spacieuse à une cage étroite, entassée parmi d'autres enfants semblables à elle, destinée à servir de repas quotidien. La goule venait, suçait son sang et mordait dans sa chaire, appréciant tout particulièrement ses facultés de régénération supérieures aux autres qui lui permettait de faire “durer le repas” plus longuement et de recommencer, encore et encore, jour après jour.

Ce cauchemar dura six ans. Six longues années durant lesquelles Mary ne revit pas la lumière du jour, n'apprit jamais le nom de son ravisseur ni quoique ce soit, enfermée toute la journée. A force elle ne criait même plus, ne versait plus la moindre larme quand il venait planter ses crocs en elle. L'enfant qui les premières fois avait crû mourir déchiquetée par la violence des coups de mâchoires supportait désormais la chose avec un stoïcisme presque ennuyé. Elle semblait éteinte et quelque chose, assurément, s'était cassé en elle. Pourtant, secrètement, Mary ne désespérait pas. Un jour elle sortirait, un jour elle se libérerait de cet enfer. Elle refusait de crever ici comme un déchet. Elle était une Austen, elle valait mieux que cela. Elle allait vivre. Quitte à perdre la dernière chose qui la séparait de la folie et de la monstruosité.

Alors un jour, Mary dévora l'enfant partageant sa cage. Il s'appelait Jamie. Il était gentil, elle s'en voulu après. Un peu. Mais c'était le seul moyen. Il avait un goût horrible et elle manqua de vomir à plusieurs reprises, mais ne s'arrêta pas, dévorant malgré les hauts-le-coeur la chaire, contentant enfin son estomac creux et vide depuis trop longtemps. Elle recouvra des forces. Peu, mais suffisantes. La goule, dans l'assurance de sa cruauté et sa supériorité, avait relâché sa vigilance et la sécurité. En déployant son kagune, Mary parvint à se frayer un chemin jusqu'à la sortie, revoyant la lueur de la lune pour la première fois depuis six ans. Cependant, elle ne s'arrêta pas pour la regarder. Elle courut, jusqu'à s'en faire saigner les pieds et que ses poumons hurlent au supplice, le plus loin possible de cet enfer.

Et elle se jura de ne jamais plus y retourner. Jamais plus elle ne serait le repas. Si pour survivre et ne plus souffrir il fallait dévorer les autres, alors soit.

Mary parvint à rentrer chez elle. Cependant, sa relation avec ses parents ne fut plus jamais la même. Trop d'années s'étaient écoulées, elle n'avait plus rien de l'enfant qu'ils avaient connu. La brèche formée semblait impossible à combler désormais. Tant pis. Mary ne s'en inquiétait pas. Tout lui était égal de toutes manières.

L'enfant grandit. Elle se mêla aux humains, faisant des études comme une adolescente des plus normales. Elle allait à l'université, section psychologie. Elle s'attela également à apprendre différentes langues, comblant son ennui en s’instruisant et en lisant des tragédies et autres contes dramatiques dont la bibliothèque familiale regorgeait, sa mère étant une férue de littérature lui ayant au moins transmit le goût de la lecture – et plus particulièrement encore, du théâtre. On la trouvait un peu bizarre, mais jolie pourtant. Elle avait des amis, sortait parfois avec eux. Elle paraissait normale. Un jour elle rencontra une goule mâle, ils prirent un café, discutèrent et passèrent la nuit ensemble. Mary resta quelques jours en sa compagnie puis se lassa et le quitta. Les relations charnelles ne l'attiraient pas plus que cela, aussi eut-elle quelques aventures, tantôt avec des goules, tantôt des humains. Parfois des hommes, parfois des femmes. Mais elle finissait toujours par rapidement se lasser et jetait l'individu... ou même le dévorait s'il ne supportait pas la rupture et insistait un peu trop pour qu'elle lui accorde “une seconde chance”. Pathétique, songeait Mary en essuyant une trace de sang au coin de ses lèvre.

Une fois ses études achever, elle commença à voyager également, quittant Londres fréquemment. Elle était toujours curieuse de découvrir de nouvelles cultures, d'observer les rapport entre goules et humains de pays différent. Le Japon la fascina tout particulièrement et elle songeait sérieusement à venir s'y installer plus tard. Cela lui semblait être l'endroit idéal pour établir son terrain de jeu. Mary étudia ses plans. Elle choisit pour commencer un village. Banal, simple et oublié de beaucoup. Comment ? Et bien simplement en fermant les yeux et en posant son doigt au hasard sur une carte des différentes îles du Japon. C'est tout.

Elle se rendit à cet endroit, passa sa journée à s'y promener. Finalement, lorsqu'un commerçant lui proposa de goûter une pomme, elle planta l'une des tentacules de son Kagune rendue solide comme de l'acier trempé dans son estomac. “Je préfère vous goûter vous, si vous n'y voyez pas d'inconvénients mon brave. ” susurra de sa voix douce la Austen alors que les gens poussaient des cris de terreur autour d'elle.

Elle massacra tout le monde, n'épargnant personne. Il y avait quelques goules parmi les habitants, qui tentèrent de l'attaquer, mais ils étaient si faibles que la jeune femme n'en fit qu'une bouchée. Elle tua chaque être vivant croisant sa route ce jour là. Enfin. Presque. Il y avait ces enfants. Trois jeunes garçons, qui ne tremblèrent pas en la voyant, se tenant serrer les uns contre les autres, prêts à regarder la mort en face. Parfait. Elle avait trouvé les pions nécessaire, la partie allait pouvoir véritablement commencer. “Vous me haïssiez, n'est-ce pas ? Évidemment, c'est ce que font les humains. C'est ce que font les goules. La haine, la colère, le désir de vengeance, voilà ce qui ne nous lie. Détestez-moi, désirez ma mort, pourchassez-moi. Devenez forts et venez réclamer ma tête le moment venu. Je vous attendrai, petites choses.” Puis elle parti et ne perdit pas son sourire durant tout le vol retour du lendemain, alors que l'avion surplombait l'océan et que bientôt les terres anglaises se dessinèrent à travers les hublots.

Elle ne les revit pas pendant plusieurs années, s'occupant pendant ce temps à acheter des humains lui servant de repas, qui parvenait à l'occuper quelques semaines avant de la lasser et qu'elle ne cède à ses appétits. Elle avait hâte de revoir ses petits protégés, mais il n'était pas encore temps. Il fallait les laisser grandir et nourrir leur désir de vengeance patiemment. Mary avait hâte, oh oui, grande hâte. Elle les aimait déjà, ces enfants. Les deux plus forts, assurément, intégreront la CCG. Le chétif en revanche, n'en aurait sûrement pas le courage. Qu'importe, il aurait son importance aussi. La goule en gloussait presque d'amusement, impatiente comme une enfant avant d'ouvrir ses paquets cadeaux le soir de Noël.

C'est après qu'entra finalement Anna en scène. Sa pièce maîtresse. Sa petite poupée si jolie, si parfaite. Dès qu'elle l'avait vu, Mary sut que c'était elle qui lui fallait. Elle fit enlever la jeune fille qui lui rappelait l'enfant qui avait encore une conscience qu'elle était, il y a longtemps. Elle la retrouva ensuite au Ghoul Restaurant ou elle s’attela à l'acheter. La pauvre enfant n'en savait rien. Mary lui promit tout ce qu'elle désirait, qu'elle serait heureuse et ne lui ferait pas de mal après tout elle avait empêcher d'affreuses vilaines goules sans manières ni états d'âme de l'acheter. Anna devait s'estimer heureuse, oh oui, d'être tombée sur elle. La jeune femme tint d'ailleurs promesse. Elle prit soin de la petite demoiselle comme jamais auparavant. Anna était sa précieuse.

Finalement, il fut temps. Après une année passée en compagnie de sa petite favorite, Mary décréta qu'il était temps pour elles de déménager. Direction Tokyo, évidemment. Théâtre de toutes les intrigues à venir. Comme ses protégés avaient grandit d'ailleurs, tout se passait comme elle l'avait prévu pour le moment, s'ne était presque décevant en un sens.. La marque rouge avait préparé les pièces de son jeu des années durant en ces lieux, il était temps pour elle de rejoindre la partie désormais. Évidemment, Anna l'accompagnait. Elle n'avait pas le choix. D'autant que ce n'était pas comme quiconque l'attendait à la maison, ses parents étant décédés. Oh, aurait-elle oublié de lui dire ? Qu'importe, ce n 'était pas bien important, là ou elles allaient elle n'avait plus besoin de ce genre de liens.

Et Mary sourit, ricanant en son ombre tandis que ses pièces se mettent en place. “Allez-y mes pantins, divertissez-moi. Montrez-vous à la hauteur de mon ennui si... mortel.”