wrist cuter.« N'êtes vous pas assez grandes pour sortir seules, maintenant ? »La phrase sonnait avec un ton amer. Elles n'avaient que huit ans pourtant, et il fallait déjà qu'elles sortent
seules du vingt-quatrième pour aller chasser ? Jusqu'ici, leurs rares sorties s'étaient résumées à des entraînements grandeur nature par groupes encadrés. Et même si durant ces six dernières années Nera et Eirin avaient été conditionnées pour le combat et leur future carrière de mercenaire, elles ne la désiraient pas pour autant. Elles étaient encore des enfants, et ce monde leur était trop inconnu encore pour choisir ce genre de chose et pour vivre comme des adultes. Eirin prit la main de sa sœur et lui lança un regard rassurant, auquel celle-ci se calma instantanément.
« On a pas le choix. » La petite fille aux longs cheveux blancs acquiesça en prenant une grande inspiration, et ravala ses larmes. Elles furent les deux premières à s'engager, main dans la main, vers la surface. Nera se questionna alors sur leur vie à elles deux, jumelles asymétriques et copie négative l'un de l'autre. Et si elles avaient eu un père pour les protéger ? Et si leur mère n'était pas morte à cause d'elles deux qui l'avaient consumée de l'intérieur pour naître ? Elles ne seraient sûrement pas ici depuis huit ans, à se battre et à être entraînées depuis toutes petites, dans cet orphelinat insalubre du 24e - qu'est ce qui n'était pas insalubre dans le 24e, de toute façon.
☆« Je ne peux plus m'occuper de vous.. Vous devez trouver du travail par vous-mêmes, et vivez de ça. J'espère que vous trouverez quelqu'un pour vous donner un toit, au moins. »Il était là, agonisant au sol à regarder les deux adolescentes, son sang se vidant d'une plaie qui ne se refermerait pas. Nera ne réagissait pas, partagée entre les émotions bouillonnant dans son cœur. La peur, la haine, le manque. Il ne pouvait pas les laisser ici, sans les autres, sans nourriture, sans personne pour prendre soin d'elles un minimum. Il n'avait pas le droit, elles n'avaient que douze ans et aucune famille à part lui, qui avait bien voulu les prendre sous son aile. Cette chose là ne lui était pas permise, il ne pouvait pas mourir maintenant. Sans qu'elle le voie venir, la main d'Eirin s'enfonça d'un coup sec dans la cage thoracique de leur père adoptif, qui se tut immédiatement en régurgitant quelques gouttes de sang. Il ne bougeait plus. Nera regarda sa sœur d'un air affolé, elle semblait tellement froide et figée qu'on aurait pu la croire morte également. Elle lécha sa main, fermant les yeux sur la vision du corps, puis se mit à manger. Nera l'observa faire, elle se sentait totalement impuissante jusqu'à ce que sa sœur lui enfonce la tête dans les chairs.
« Mange. » Elles n'avaient pas mangé depuis plus d'un mois, depuis que le CCG avait repéré l’orphelinat improvisé. C'est d'ailleurs de leur main qu'est mort leur père adoptif, et tous les autres enfants. Il ne restait qu'Eirin et Nera, dans ce bain de sang où les CCG n'avaient pas prêté attention à elles.
Plus tard, elles firent le tour de l'endroit. Des corps, du sang, des inspecteurs également. Il manquait beaucoup d'enfants parmi les cadavres, et au visage de sa sœur Nera devinait qu'ils ne s'étaient pas enfuis. Elle fit volte face vers la sortie de l'arrondissement, ses cheveux blancs virevoltant le long de son dos sur sa peau quasi nue. Eirin l'observa, premièrement interloquée, puis avec un sourire attendri. Elle trottina vers sa sœur et glissa sa main dans la sienne, essuya le sang sur sa joue avec l'autre puis lui adressa un grand sourire.
« On devrait faire ce qu'il a dit. » Elle acquiesça silencieusement et engagea le pas vers le fond légèrement plus illuminé du couloir taché de sang, froid et venteux, où murmurait une brise fantomatique.
☆Une lame sur la gorge, une sur le ventre. Presser, donner de l'élan, sectionner. Le sang qui se répand sur le sol et les murs dans un bruit liquide et serein. Deux kagune similaires se rétractant dans le dos de deux deux jeunes filles en tout points semblables, excepté par la couleur de leurs cheveux. Deux machines à tuer aux yeux rouges sur fond noir.
A deux, elles étaient devenues un des duos de mercenaires les plus prisés de tout Tokyo, et surtout les plus extravagantes. Il n'y a pas trente-six mille mercenaires de quinze ans en ces rues, surtout d'aussi efficaces que ce duo-là. Eirin tuait autant goules qu'humains, et avait donc plus de clientèle que Nera ; celle-ci se concentrait uniquement sur les humains. Eirin avait adopté un régime alimentaire plus varié et consommait à l'occasion ses semblables, chose que sa sœur ne plussoyait pas le moins du monde. Elle avait déjà croisé des goules de Kamakiri, et ne voulait pas que sa sœur devienne comme ces gens fous et sans morale, cependant ce n'était pas son affaire. Tant qu'elles travaillaient, vivaient bien et restaient aussi proches l'une de l'autre en même temps, Nera ne pouvait être qu'heureuse.
☆Eirin s'élança en premier sur leur proie journalière : une goule. En effet, les mentalités avaient évolué du côté de Nera, qui acceptait désormais de traquer et dévorer ses semblables si elle le devait. Au grand jamais elle ne se serait remise en question, et pourtant : elle avait bien déjà mangé son père adoptif, elle était donc dans un sens cannibale comme sa sœur. Légèrement en retrait, elle observait le kagune de sa sœur se déchainer sur celui de l'adversaire, un bikaku. Sans trop d'efforts, celle-ci réussit à placer quelques coups importants sur la cible journalière, alors Nera décida qu'il était temps de faire son entrée. Elle s'élança à son tour vers la goule, par derrière cette fois, et laissa son kagune déchirer ses poches RC et la peau de son dos nu. Mais elle fût propulsée à dix mètres en arrière avant même d'avoir pu porter un coup ; un deuxième kagune venait d'émerger dans le dos de la cible. Un kakuja.
Tout son corps semblait douloureux, elle devait avoir beaucoup d'os brisés. Elle patienta en restant au sol, son œil levé vers l'adversaire et la situation tandis que ses cellules faisaient leur travail. Eirin avait volé plus loin qu'elle encore, et elle ignorait si son immobilité signifiait qu'elle était également en train de se régénérer ou si elle était mise au tapis. L'adversaire s'approcha de sa sœur, et Nera sentit un pincement dans son cœur.
Elle n'est pas en train de se régénérer. Pendant que la goule se saisissait de sa sœur dont les bras pendant mollement le long de son corps, elle tenta de se lever et de rejoindre le plus vite possible le combat. Son corps engourdi craquait sous les fractures comme quand on marche sur des bouts de verre brisé. Elle sentait doucement ses os se reformer, ses muscles se souder à nouveau, et son kagune se durcir encore. Ses membres avançaient tous seuls, ses muscles n'attendaient qu'un impact sur celui qu'elles devaient éliminer. La rage coulait dans ses veines comme le feu d'un brasier.
Un craquement sourd résonna dans l'air frais. Tournée dans un sens très peu naturel, la peau de la jambe d'Eirin se déchirait doucement avant de la laisser tomber au sol. Ses yeux entrouverts et ses lèves mouvantes étaient pris de convulsions, des larmes silencieuses se répandaient par milliers sur ces joues qui n'avaient pas souvent été humides. Le sang affluait, tandis que l'auteur des faits pratiqua la même opération sur l'autre jambe. Les os craquèrent sans qu'aucun cri n'émane de la gorge silencieuse d'Eirin, dont le buste s'emplissait et se vidait d'air dans des gestes brusques. La deuxième jambe tomba au sol, à côté de la première, dans un fracas déconcertant. Des plaintes, des gémissements finirent par se glisser entre les lèvres impuissantes de la victime, qui brusquement retournée se voyait privée de son kagune dans un déchirement atroce, bras par bras tombant au sol dans la marre de sang aux pieds de la goule de feu. Ses grosses mains s'abattirent sur le ventre de sa sœur, puis le déchirèrent pour en extraire les morceaux les plus succulents en premier. Figée, Nera était incapable de réagir. Tout son corps tremblait, brûlait et se brisait de nouveau sans qu'elle ne puisse aller aider sa sœur. Elle tomba sur ses genoux broyés, toute son échine tremblant comme jamais elle n'avait tremblé devant ce spectacle effroyable. Le sang s'étalait partout comme un glacis épais et gore, la goule se nourrissait dans les hurlements d'Eirin. Elle était impuissante, elles étaient impuissantes. Eirin était en train de mourir, dévorée vivante après avoir été démembrée et privée de son kagune. Son regard ne quittait celui de sa sœur, doux et bienveillant comme il l'avait toujours été, tandis qu'il s'éteignait lentement.
Un cri de torpeur déchira ses poumons. Soudainement, Nera se mit à hurler, à rire et à pleurer en même temps, le seul mot qu'elle avait à la bouche était le nom de sa sœur.
Eirin. Elle cracha du sang.
Eirin. Elle se leva sans tenir compte des blessures non résorbées et couru vers sa sœur.
Eirin. Elle hurla son nom,
Eirin. Toutes ses pensées ne vinrent qu'à elle, qui souriait encore du coin de ses lèvres pâles.
Eirin. Les spasmes continuaient de rendre ses actions imprécises et hasardeuses, alors qu'elle tentait d'abattre son kagune sur l'adversaire.
Eirin. Le nom lui tournait dans la tête, lui donnait courage et force.
Eirin. Elle fut propulsée en arrière, mais se releva sans broncher, ignorant la douleur tandis que ses yeux étaient noyés de larmes.
Eirin. Elle revint à la charge encore et encore, renvoyée toujours plus loin, revenant toujours plus fort.
Eirin. Encore.
Eirin ! Encore !
Eirin !! Le dernier vol plané la sonna un bon coup.
Eirin..Quand elle finit par se réveiller, son corps lui semblait broyé de toutes parts. Elle fût contrainte de garder sa position atterrissage pendant que son corps se régénérait. Elle avait peur, et attendait juste de pouvoir se remettre debout pour aller rejoindre Eirin. Elle n'entendait plus rien, à part le vent froid qui picotait sa peau et les voitures sur le périphérique à quelques centaines de mètres. Dès qu'elle le pu Nera se précipita sur sa soeur, lâchée violemment à terre. Elle la prit dans ses bras, la serra fort, essuya ses joues baignées de larmes presque disparues et de sang, embrassa son front et la couvrit de tout l'amour qu'elle aurait pu lui donner si ce qui était arrivé n'était pas arrivé.
Elle était déjà éteinte, c'était un soleil froid et mort désormais.
Nera hurla son prénom à s'en arracher les cordes vocales.
Eirin.☆Pour échapper à sa peine, Nera s'était mise à lire et à dessiner en permanence. Elle avait abandonné son travail de mercenaire, et avait cherché un petit boulot chez les humains pour avoir de l'argent. Elle avait même coupé ses cheveux, qu'
elle aimait tellement voir longs sur elle, puisqu'ils la gênaient ; elle laissa cependant une mèche longue quelque part en son souvenir. Avec le temps, elle réussit à avoir un endroit où vivre, seule. Elle était seule, et complètement anxieuse à l'idée de se sentir seule dans un endroit rempli d'autres personnes. Elle n'avait plus faim, plus sommeil, plus envie de rien, malgré qu'elle essaye de gommer le souvenir de la mort d'Eirin de son esprit. Elle ne pouvait pas, elle en était incapable et elle le savait. C'est à ce moment là qu'elle commença à la voir, Eirin, et à l'entendre dans sa tête. Un peu parfois, puis au fil des mois elle finit par l'entendre en permanence. Elle lui manquait tellement.. elle était prête à tout pour la revoir. Elle pensa au suicide, mais comment faire ? S'embrocher de son propre kagune ?
Alors qu'elle tentait de mettre en pratique l'idée, elle l'entendit encore.
« Mange. » Stoppée net, Nera se vida de ses pensées. Elle revit l'Eirin qui l'avait forcée à manger leur père adoptif, et soudain une faim infernale prit possession de son corps. Prise de vertiges et d'hallucinations, Nera partit immédiatement chasser : elle engloutit treize personnes, dont quatre goules, d'un seul coup.
Au fil du temps, alors que ces crises étaient plus présentes, elle découvrit que ces tubes de papier remplis d'herbe qu'on appelle cigarettes la calmaient, comme ces cachets et poudres qu'elle cachait désormais partout chez elle. En trainant un peu partout totalement explosée, elle fit des rencontres, notamment celle d'un tatoueur clandestin. Nera ne connaissait pas la chose auparavant, et très vite se prit de passion et décida de faire la même chose. Chaque parcelle de sa peau couverte d'encre était pour
elle, en son souvenir.
Et chaque matin, dans le miroir, elle voit ces dessins briller sous
ses doigts caressants qui lui apparaissent parfois.