La journée avait bien commencé pour Sai Maeda. Elle avait été réveillée par la lumière froide d'un rayon de soleil qui perçait dans sa chambre plutôt que par l'alarme stridente de son réveil, et ce simple fait suffisait à la mettre de bonne humeur. Elle faisait pourtant partie de ce genre de personne pas vraiment du matin, qui se lèvent avec la joie d'un hamster enragé, les cheveux ébouriffés. Mais ce matin présageait une bonne journée, d'abord pour ce réveil en douceur, mais surtout parce qu'elle avait en plus eu le temps de prendre un petit déjeuner en regardant les rediffusions de Sailor Moon. Elle n'avait pas à se rendre aux bureaux aujourd'hui, ce qui lui laissait tout le temps de manger en regardant la télévision. Et ça, ça n'avait pas de prix. Surtout les matins où passaient Sailor Moon. Parce que Sailor Moon, c'était son dessin animé préféré, celui qui l'avait inspirée, et ces héroïnes représentaient exactement ce que Sai voulait devenir. Elle voulait sauver le monde, comme elles, toujours avec élégance, comme elles. Puis la sonnerie de son téléphone avait retenti, l'avertissant d'un message de son supérieur - Gen ? - qui lui disait qu'elle devait travailler sur le dossier, aujourd'hui. Sai avait tenté de négocier, sans véritable succès, et avait fini par se résigner et répondre « okay ~☆ », non sans râler en tapant son message. Elle se devait d'être obéissante, parce qu'aucun autre première classe ne voulait s'occuper de son cas (quoi que Rin ne le voulait pas non plus, mais à ce qu'elle avait compris, il n'avait pas eu le choix) et qu'elle devait donc se débrouiller pour s'entendre avec lui, parce qu'on ne l'assignerait pas à un autre inspecteur. Et pour Sai, il était impossible de sauver le monde sans s'entendre avec ses coéquipiers. Alors elle essayait de se montrer moins insolente avec Snow Warrior, sans véritablement y parvenir. Ils étaient coincés ensemble, désormais.
Elle avait d'abord essayé de travailler chez elle, ouvrant les dossiers et tentant de réfléchir, mais elle s'était finalement retrouvée devant la télé, à lire des manga ou même à dessiner. Les distractions étaient bien trop nombreuses pour Sai qui se comportait encore comme un enfant, incapable de se concentrer plus de dix minutes sur le dossier sans être distraite. Elle avait reposé le manga dont elle avait commencé la lecture, pour s'installer à nouveau devant les éléments de l'enquête. « La faucheuse, hein... » Ses pieds se balançaient sous sa chaise, alors qu'elle portait son stylo à sa bouche dans une attitude plus ou moins studieuse. Puis elle ferma brusquement le dossier, le fourra dans son sac à dos, et se leva pour aller s'habiller. Tant qu'elle restait cloîtrée ici, elle ne travaillerait pas le moindre du monde. Il en allait de même quand elle étudiait à l'académie ; mais elle avait la chance de s'en sortir convenablement sans véritablement étudier comme une acharnée. Elle avait toujours eu des facilités, Sai, camouflées derrière un épais mur de bizarrerie. Si ça ne tournait pas aussi étrangement dans sa tête, elle aurait peut-être eu un avenir brillant. Elle disciplina ses mèches folles à l'aide de sobres barrettes jaunes, ajusta le nœud qui ornait son col, et glissa son bâton magique dans son sac, avec ses armes et le dossier. Et direction la bibliothèque.

Sai avait chantonné des génériques de dessins animés sur tout le chemin, refusant de se laisser abattre par ce soudain besoin de travailler. Les yeux levés au ciel, elle fixait les nuages qui s'écoulaient lentement dans le ciel clair. Le vent hivernal la fit frémir un instant, alors elle enfoui un peu plus son visage dans son écharpe. Elle jeta un coup d'oeil à la montre qui ornait son poignet. Onze heure. Plus tôt que prévu. Sur le chemin, elle s'arrêta plusieurs fois, pour ramasser un escargot au milieu de la rue et le conduire vers du feuillage, pour caresser un chat, et puis un chien aussi. Elle se força à se concentrer sur son objectif initial : la bibliothèque. Pour travailler. Aussi fastidieux que cela puisse lui paraître, elle ne pouvait pas y couper. Et encore, sans doute devait-elle s'estimer heureuse, puisque même en étant une troisième classe, elle pouvait travailler sur la goule de rang S qu'était la faucheuse, tout ça grâce au grade de son coéquipier. Mais quoi qu'il en était, l'enquête n'allait pas se résoudre toute seule, et ce n'était pas ainsi qu'elle allait débarrasser Tokyo de toutes les menaces, alors elle reprit sa route, et accéléra même le pas, son sac tapant dans son dos au rythme de ses grandes enjambées.

Puis en arrivant devant le grand bâtiment, Sai reconnut immédiatement une silhouette familière, qu'elle identifiait comme étant Silence Seeker, un autre troisième classe qui travaillait avec elle, dans la CCG. Un individu suspect, plutôt discret, le genre à cacher une identité de super-héros ! Et surtout, il était souvent seul et souriait peu, alors Sai considérait qu'il était presque de son devoir en tant que magical girl de lui redonner le sourire, et de lui tenir compagnie. Elle en était certaine, elle devait se lier d'amitié avec lui, et elle le voulait absolument ! Pleine d'entrain, elle courut presque à sa rencontre, un grand sourire déjà plaqué sur son visage encore juvénile. « Hé Ryohei ! euh, Ryoichi ! non, euh, Ryoka ? » Elle avait froncé les sourcils un instant, tentant de se remémorer son prénom qui s'était volatilisé de son esprit. Elle avait toujours eu une mauvaise mémoire des noms, Sai. Elle avait haussé les épaules, l'air de dire que ce n'était pas si grave, avant de reprendre : « Tu viens travailler toi aussi ? Moi aussi, ça me soûle un peu, je suis sûre que Shin à la flemme, alors je dois m'en occuper... » Elle venait de se tromper dans le nom de son superviseur, et prêtant à peine attention à son erreur, elle continua. « Tu travailles sur qui toi, en ce moment ? Ah mais, t'es en duo avec, hm, comment il s'appelle déjà... » Nouvelle pause. Le visage du coéquipier de Silence Seeker s'affichait précisément dans son esprit, pourtant elle n'arrivait pas à se souvenir de son prénom. Il était compliqué, son nom, aussi. Parce qu'il était Italien, dans les souvenirs de Sai, et si retenir un nom japonais était déjà difficile pour elle, il était inconcevable qu'elle puisse se souvenir d'un prénom étranger. « Charles ? Ah non, c'est pas ça. Mais on s'en fiche ! » Le grand sourire dessiné sur ses lèvres ne se tarissait pas, alors qu'elle attendait joyeusement la réponse de son collègue. Sai, elle aimait bien Ryokai, et bien que ça ne soit sans doute pas réciproque, elle ne perdait pas espoir qu'un jour, ils pourraient se lier d'amitié. Parce qu'elle était une héroïne, au fond.

Il n'avait pas vraiment l'air ravi de revoir Sai, mais cette indifférence ne refroidit pas la jeune fille pour autant. Parfois, il était bien plus agressif que ça, et pourtant, elle n'avait toujours pas abandonner. Parce que s'il faut bien lui reconnaître une qualité, au milieu de tous ses défauts, c'est qu'elle est persévérante. Abandonner, ça ne fait pas partie de son langage. « Ryokai. Non je ne travaille pas, je viens chercher des livres et ton partenaire ne s’appelle pas Rin ? » Elle fronça les sourcils un instant, pour réfléchir au nom de celui dans les pattes de qui on l'avait collée. Rin ? Ça ne lui disait pas grand chose, mais Ryokai ayant sans doute une meilleure mémoire que Sai en ce qui concernait les prénoms, elle décida de lui faire confiance. Quant à son prénom à lui, il avait beau la corriger, c'était sans espoir. Si elle n'était pas capable de savoir comment s'appelle celui avec qui elle passait ses journées, il était inespéré qu'elle se souvienne du prénom du jeune homme lors de leur prochaine rencontre. Parce qu'évidemment, il y aura une prochaine rencontre, et elle n'abandonnera pas tant qu'il n'aura pas accepté de devenir ami avec elle. « Ah oui, Ryokai, c'est ça ! Euh, mon partenaire... » Elle réfléchit un instant, portant sa main à son menton dans un geste faussement sérieux. « Hm, c'est vrai, c'est peut-être Rin son nom, je sais pas trop. Mais bon, je l'appelle plutôt Snow Warrior, parce qu'il faut avouer que ça lui va trop bien ! » Il était vrai que Snow Warrior, ça détonnait bien plus que Rin, et puis vu qu'il était son fidèle acolyte, il lui fallait, de toute façon, un nom de super-héros. Et pour préserver sa super-identité, il valait mieux qu'ils usent de ce pseudonyme dès maintenant. Il ne faudrait pas que les alien - euh, les goules, découvrent qui ils étaient vraiment. Parce que ça compromettrait toute leur mission de sauvetage de l'univers et de l'humanité. Plus que des inspecteurs, Rin et Sai étaient les sauveurs de la terre. Et ce n'était qu'une question de temps avant que tout le monde ne le réalise. Ils étaient le dernier espoir de l'humanité. « Il s’appelle Caesus, pas Charles. » Doucement, elle hocha la tête. « Oh ? Drôle de nom. » Trop compliqué à retenir. Tant pis !
Elle jeta un oeil à la bibliothèque, le poids du dossier dans son sac à dos se rappelait à elle. Elle avait des responsabilités, Sai. Elle devait travailler. Pourtant, elle ne pouvait laisser passer cette opportunité que lui laissait Ryokai, c'est-à-dire qu'il acceptait de converser avec elle sans la rembarrer trop sèchement. Le coeur de Sai balançait, entre remplir son super-devoir de magical girl en découvrant l'identité de la super-méchante Faucheuse ; et rester là à se lier avec Ryokai qui avait irrémédiablement besoin de sa présence amicale, parce qu'il ne semblait pas réussir à se lier avec qui que ce soit d'autre. Alors elle restait là, le sourire béat, irradiant de joie et de bonne humeur.

Puis il prit une décision pour elle, et s'engouffra dans le bâtiment, ce qui poussa la petite brune à prendre sa suite en sautillant. La pièce trop silencieuse ne lui correspondait pas vraiment, pourtant elle savait que c'était pour elle le seul moyen de travailler sérieusement sans se laisser distraire par la centaine d'occupations plus intéressantes qu'elle pouvait trouver chez elle. Pourtant, l'envie de parler lui brûlait les lèvres, et elle ne supportait pas de marcher en silence aux côtés de son collègue. Elle le regarda prendre des livres et s'installer à une table, avant de s'installer à ses côtés, sortant de son sac à dos le dossier qui concernait la Faucheuse. Travailler, il fallait travailler.
Elle tenait difficilement en place, s'agitant sur sa chaise comme un enfant hyperactif, repliant parfois ses jambes pour s'installer en tailleur sur la chaise, ou déposant son menton dans le creux de sa paume. Sai résistait difficilement à l'envie de chantonner le générique de Sailor Moon, qui était bloqué dans sa tête depuis la rediffusion de ce matin. Les sourcils froncés, un stylo en main, elle prenait quelques notes sur sa feuille de brouillon, mais il ne sortait de sa tête que des idées farfelues que Rin n'apprécierait sans doute pas, et il ajoutera ensuite qu'elle devait être demeurée, et se demandera ce qu'il avait fait pour se retrouver avec un boulet pareil. C'était tous les jours le même rituel, au fond. Rin ne changeait pas, et Sai non plus, et l'alchimie de leur groupe était toujours aussi aléatoire.
La brune leva les yeux du dossier juste à temps pour voir Ryokai fermer les yeux, bien déterminer à rejoindre les bras de Morphée. Elle lui secoua doucement l'épaule pour le réveiller. « Ryokai ! Il faut pas dormir ici ! Tu sais, si tu veux dormir, tu devrais rentrer chez toi, tu risquerais d'attraper un rhume en faisant ta sieste ici, parce il fait un peu froid quand même. » Elle parlait à voix basse, murmurait presque, cachée derrière son dossier pour ne pas être vue ni entendue par la bibliothécaire. Elle était persuadée de lui rendre service, au fond, en lui évitant de somnoler dans un lieu si inconfortable, et surtout d'être totalement improductif. Sai, elle ne pensait pas en mal, et à vrai dire, elle ne semblait jamais penser en mal, pourtant, elle faisait toujours tout de travers. « Dis, tu lis quoi ? » Accoudée sur la table, la tête reposant dans ses mains, elle attendait sa réponse, détournée totalement du dossier sur lequel elle était supposée travailler par ce collègue qui l'intriguait tant. Au diable le travail.