Miller. Ce nom évoque aujourd’hui bien des choses. Pourtant, l’entrée dans la noblesse de cette famille est assez tardive. Il faudra attendre les premiers colons d’Amériques pour que la petite entreprise familiale, modeste et menaçant de mettre la clef sous la porte obtienne des parts de marchés plus qu’alléchante et se fasse un nom à travers le pays tout entier. Depuis le dix-septième siècle, donc, les Miller n’ont  cessés de croitre en influence ainsi qu’en variétés d’activités. Ils touchent un peu à tout, de nos jours, ce qui les rends très puissants et difficiles à acculés. Tout du moins, sur l’échiquier des affaires…

Il n’y a rien de particulier à dire à propos d’Anna. Fille unique d’un couple de la noblesse anglaise, elle est choyée dès sa naissance et obtient les meilleurs atours avant même d’avoir atteint l’âge de raison. Après avoir torturée sa mère pendant de longues heures afin de prendre sa première goulée d’air, la petite rejoint vite son cercle familial qui la gâte et la choie autant que faire se peut.

Dès le plus jeune âge, Anna obtient une éducation stricte. Elle apprend à se comporter correctement en société, à faire honneur à son rang. Instruite, elle reçoit chaque jour la visite de nombreux précepteurs qui lui enseigne l’usage du français, du latin, de l’italien mais aussi du grec ancien. Car une lady se doit de connaître au moins quatre langues raffinées d’après les dires de sa mère. Anna ne bronche pas, elle est docile et ne fait jamais de caprices. Elle va à l’école regroupant les rejetons des plus riches de la planète et y évolue sans problème.

Anna n’est pas une fille à problèmes, loin de là. Elle ne cherche pas les ennuis – ils sont suffisamment débrouillards pour la trouver seuls, de toute manière – et est attentive en cours, aimable avec les autres. Tous les autres. Ses beaux cheveux blonds soyeux et ses yeux verts imbibés d’innocences font chavirer le cœur de bien des garçons bien qu’aucun n’ait jamais eut l’occasion – ou le courage – de se confesser à la charmante Miller. Elle vit donc sa vie comme toutes les filles de bonnes familles. Anna devient un cliché de la perfection tant attendue dans la société actuelle. Elle prend des cours de solfège, de danse, fait du théâtre et possède un chien de race nommé Alexander. Ses parents sont fiers d’elle, elle est de loin leur petite princesse. Ils n’auraient jamais pensés pouvoir avoir un enfant si majestueux, d’après les dires que certains entendirent lors de soirées mondaines.

Anna est fille unique. Sa mère ne peut plus avoir d’enfant. Après la naissance de sa fille, elle développa infection sur infection et fut contrainte de se faire opérer si elle voulait voir Anna grandir. Elle ne possédait plus l’outillage nécessaire et naturel à la conception d’un nouvel enfant. Sans doute était-ce également pour cela qu’elle couvait Anna comme la huitième merveille du monde. Dieu seul le sait.

Et puis vint le moment fatidiques où tout se brise, se casse, s’évapore dans une nuée d’horreurs.

Rien n’aurait pu indiquer ce jour-là que la vie d’Anna allait basculer du tout au tout. Et pourtant.

Elle sortait des cours, comme à l’accoutumée, et s’apprêtait à traverser la rue pour rejoindre le majordome chargé de la conduire et la ramener à l’école tous les jours lorsqu’un énorme fourgon noir s’arrêta devant elle. La demoiselle n’eut même pas le temps de crier ou de se débattre qu’un tissu était plaqué sur sa bouche. Plus rien par la suite. Il n’y avait plus que l’obscurité. Anna était piégée. Elle n’avait que seize ans alors. Ce n’était qu’une enfant.

Son réveil se passa d’une manière bien cauchemardesque. Elle entendit des cris, des applaudissements. Au sol, elle s’est alors relevé comme elle le put et constata qu’elle avait sans doute sombré dans un univers sombre, aux vagues décors Wonderlandiens, teintés de noirs et de rouge. Elle eut immédiatement la nausée mais n’eut, encore une fois, guère le temps de s’attarder sur ce point. Elle vit une silhouette affreuse s’approcher d’elle puis lui sauter dessus, la rejetant sur ce sol qu’elle avait pourtant quitté non sans difficulté. Anna hurla, usant de sa voix pour la première fois depuis son enlèvement. Par faiblesse, elle ferma les yeux, attendant la suite s des événements, qu’elle voyait déjà se profiler comme tragiques.

Mais une forme en position debout attira un instant son attention. Elle la distingua mal car en contre-jour des lumières artificielles de l’endroit. L’ombre prononça une somme affolante, provoquant un silence macabre dans l’assemblée. Anna perdit connaissance à ce moment-là. Où était-elle donc ?

La sensation de douceur qui s’empara d’elle à son réveil lui fit croire qu’elle n’avait rien vécu des derniers évènements. Tout ceci ne pouvait être qu’un rêve, n’est-ce pas ?

Non.

Car lorsque les yeux verts de la jolie petite anglaise se rouvrir, elle ne mit guère longtemps à constater qu’elle n’était pas seule dans le grand lit où elle prenait repos depuis elle ne savait guère combien de temps. Il y avait une fille à côté d’elle. Anna prit peur, n’ayant jamais, ô grand jamais partagée sa couche avec qui que ce soit – même Alexander, lorsqu’il était autorisé parfois à dormir dans sa chambre, gardait le pied du lit. Elle tomba du lit, provoquant un brouhaha de tous les diables. Ceci réveilla l’inconnue dont le sourire ne rassura guère notre ingénue.

Elle lui expliqua tout, ne lui épargnant aucun détail.

Goule. Cette fille répondant au nom de Mary était une goule. Bien sûr, Anna savait ce qu’étaient ces… créatures, ses parents lui en avaient déjà parlé. Mais jamais en bien. Ce n’est guère pour autant qu’Anna réagit de manière agressive, son caractère l’en rendait bien incapable d’une chose pareille. Pourtant elle avait peur, peur de ce qui allait lui arriver. La dénommée Mary lui expliqua qu’elle l’avait achetée au Ghoul Restaurant de Londres et qu’elle était maintenant sa propriété, destinée à la servir comme bon lui semblait. Anna, abasourdie par ce brusque changement de statut social, ne sut quoi dire.

En vérité, elle ne put que se soumettre.

Depuis un an, désormais, elle vit aux crochets de Mary Austen, sans autre option que celle de lui servir de garde-manger vivant ou peluche, selon l’envie de cette dernière. Malgré tout, Anna a appris à ne plus avoir peur de Mary. Elle l’intrigue davantage qu’elle ne la terrifie, désormais. La goule la traite avec délicatesse et s’assure toujours du confort d’Anna. Bien entendu, tout ceci demande compensation et de temps à autre, Mary vient donc se délecter de son sang.

Anna se questionne. Elle sait qu’elle ne peut s’enfuir, la goule lui ayant clairement fait comprendre qu’elle tuerait ses parents si elle tentait la moindre échappée. Ils lui manquent, mais Anna veut rester forte, pour eux, pour les sauvegarder. Elle trouvera peut-être un moyen de s’enfuir, un jour. En attendant, elle ne peut que se plier aux ordres de sa ‘maîtresse’. D’ailleurs, une année, c’est long. Pourquoi l’avoir gardé si longtemps alors que si elle ne faisait pas erreur sur ce qu’elle avait entendu dans des couloirs, tous ces prédécesseurs avaient finis dévorer rapidement ? Anna ne sait pas. Anna se demande… Et si Mary était tout simplement… seule ? Peut-être. Cela ne rend pas le tableau moins atroce, mais ce serait le début d’une faible compréhension du personnage s’il en est.

Récemment, Mary décida de déménager à Tokyo. Anna est perdue, totalement. Elle ne parle pas un mot de japonais et doit se contenter de toutes petites promenades jusqu’au parc le plus proche. Jamais plus de vingt minutes. Ses faits et gestes sont chronométrés, observés. Anna n’aime pas cela. Elle a mal, ses parents lui manquent, elle voudrait entrer en contact avec eux malgré le danger, mais elle n’ose pas.

Ce qu’Anna ignore, c’est que ses parents sont décédés dans un crash aérien il y a trois mois de cela. Anna est toute seule, mais elle ne le sait donc pas. Qu’elle triste vie pour cet oiseau en cage que voici. Qu’est-ce que la vie peut bien lui avoir réservé encore ? Mystère.