Elle n'a jamais compris pourquoi les gens s'accrochent tant au passé, à ce qui a pu survenir dans la vie de telle ou telle personne. Probablement parce que son propre passé est d'un ennui sans nom, pas le moindre drame ni événement marquant, pas plus que n'importe quel membre lambda de la population, qu'il soit goule ou humain. Oh, sans se considérer chanceuse elle sait parfaitement qu'elle fut plus avantagée que beaucoup, deux parents toujours en vie à ce jour quoi qu'ils aient perdu contact, une enfance sans la moindre vague. Il est d'ailleurs rare qu'elle y repense vraiment, l'esprit toujours trop occupé par des questions éternellement sans réponse.

C'est aussi un passé qu'elle garde pour elle, probablement plus par souci de sécurité que de mystère ; bien que sachant ses géniteurs vivre à l'étranger, elle garde pour eux malgré tout un semblant d'affection, en dépit de ces années sans les voir - presque dix ans depuis son arrivée au Japon. Alors la plupart du temps elle mentionnera une mère toujours en voyage ou un père mort de maladie, avant de changer de sujet, feignant l'inconfort et le malaise, de quoi faire culpabiliser ses interlocuteurs s'imaginant alors un passé difficile, les poussant à ne pas insister. D'autres fois encore, elle ne répondra qu'en disant qu'il n'y a rien d'intéressant à savoir sur elle, rien qui mérite d'être raconté en tout cas. Et pourtant, il y aurait peut-être bien quelque-chose à dire, si seulement elle finissait par laisser tomber le jeu de l'indifférence face à tout ce qui pourrait arriver.

Et la raison de son cannibalisme n'en est justement pas une. Pas d'excessive famine ni de situation dont la seule issue aurait été de dévorer un semblable, oh non. On aurait presque pu apparenter ça à une crise d'adolescence stupide comme on en a déjà vu temps, un trop fort besoin d'aller à l'encontre de ce qu'on avait pu lui enseigner, quitte à agir de façon amorale - mais aux yeux de qui? L'attraper avait été simple, presque décevant, mais sa mort au contraire fut toute teintée d'une appréhension mêlée d'excitation, une curiosité malsaine. Il y eut alors le goût infect qui lui tordit les boyaux, un semblant de regrets finalement suivi d'une étrange satisfaction. Puis le désir de recommencer, sans comprendre la raison qui pourrait la pousser à sciemment se torturer ; devenir plus forte n'avait pas d'importance, mais survivre oui, alors peut-être était-ce une manifestation de cet instinct. Chose certaine, elle continue encore aujourd'hui.

Autant le dire, elle se complaît dans son statut de personne au passé aussi flou qu'inintéressant, voir même ennuyeux ; en général les gens comme ça ne sont que très souvent sous le feu des projecteurs, alors que son choix d'emploi, lui, a déjà attiré l'attention de quelques personnes trop curieuses. Le genre dont on se retrouve malheureuse à devoir disposer dès qu'elles se rapprochent un peu trop. Alors oui, être simplement la fille ayant cherché meilleure vie (et peut-être fuit la pression parentale?) en quittant la Corée du Sud pour Japon est un label auquel elle s'accroche, quitte à l'embellir de quelques mensonges.

and i'll bleed them like pigs. elle est de la race des cyniques au sourire plein d'amertume, Rhiannon, portant sur ce qui l'entoure un regard plein de mépris et de condescendance, parfois éclairé d'un amusement avant tout à leur dépend. Et que l'on ne se méprenne pas sur la raison d'un tel dédain : sa condition de goule n'en est pas même la moitié. Car si l'humanité ne mérite pas son empathie, tout juste son attention, ses semblables ne valent pas mieux. S'auto-proclamant apex prédateur ne pouvant se repaître que de chair humaine, ils s'attirent ainsi l'ire de ces derniers en atteignant directement leur égo - il est de notoriété que l'être humain se considère au-dessus de tout. Ainsi, le conflit des races est d'un ennui sans fin tant il était prévisible, et d'une hypocrisie à lui en faire frémir l'échine.

Cruelle, elle n'a pas sentiment de l'être, pas plus que bestiale, mais il est aisé de réaliser qu'elle se ment à elle-même ; l'aisance avec laquelle elle vole la vie de ses proies, qu'elles soient humaine ou goules est la preuve même qu'elle n'a pas la moindre considération pour quelque chose d'aussi éphémère et futile que la vie. Mais dans ces morts, pourtant, on retrouve quelque chose d'étonnement clément : rapide et sans désir de faire souffrir. Tuer pour vivre et non pas pour s'amuser, quand bien même il lui est déjà arrivé de laisser la bête surpasser la raison. Ce serait se fourvoyer de toute façon de penser que ladite raison est maîtresse, pas lorsqu'elle admet elle-même avoir le sang chaud et peu de patience pour autrui ; encore une fois vos vies n'ont pas d'importance. Quant à la sienne? Elle clamera que l'instinct de survie est plus fort que sa propre opinion, dissimulant l'hypocrisie derrière un haussement d'épaules désinvolte.

Loin d'avoir une allure passe-partout, ce n'est cependant pas pour sa stature qu'on la remarque, peinant à dépasser le mètre cinquante-quatre sans l'aide de talons hauts ; qu'on ne s'y méprenne pas cependant, elle s'en satisfait pleinement, car s'avérant particulièrement pratique pour se déplacer sans se faire remarquer et se glisser un peu partout. Sa crinière autrefois d'un sombre corbeau à ce jour marie carmin et aubergine, déjà bien plus aisée à remarquer, sans parler de son teint mat et de ses prunelles claires, la mettant à part du nippon lambda - une singularité à mettre au compte de ses origines à la fois marocaines et sud-coréennes. Vient ensuite sa préférence pour les vêtements noirs et la plupart du temps basiques (mais ne nions pas l'influence pseudo-gothique), lui donnant un air sinistre sciemment choisi ; là où certains trouvent confort dans une teinte soi-disant aussi sombre que leur âme (don't cut yourself on those edges!), elle l'apprécie pour sa simplicité et le peu d'effort nécessité pour avoir une allure présentable - une flemme qu'elle nomme minimalisme voulu.

Malgré son évident mépris, ou du moins désintérêt, pour toute personne n'était pas elle-même, la goule est loin d'être une personne agressive sans raison, quoi qu'éternellement méfiante. Elle est de ces inconnus avec qui l'on se retrouve à parler sans comprendre pourquoi, étonnement avenante malgré les remarques acérées et une évidente distance imposée. Et si on prend le temps de l'observer un peu , c'est là qu'on découvre la colère qui toujours brille au fond de son regard, enjolive chaque mot d'une amertume dont elle a oublié la source ; la présence de la créature toujours affamée qui tort ses tripes et la prend à la gorge, même lorsqu'elle vous sert un sourire aussi distant que son visage est serein.