«…Concernant le dossier sur le Joueur Fou, il y aurait du développement. Nous aurions besoin que tu te rendes à la morgue chercher des informations sur de potentiels témoins. Ils ne parleront pas, mais contrairement aux autres victimes ils ont finit avec au moins un morceau. Bonne chance!»

L’envie n’y était pas –et avec raison-. Ce dossier, très récent, ne faisait pas mention d’une goule importante. À la limite, c’était un nouveau joueur dans le milieu et pour l’instant, ses dommages étaient plus que bénins. Encore, il y avait possibilité qu’il s’avère être un opposant de taille, mais pour l’heure, il aurait souhaité qu’on relègue l’affaire à un nouveau, du moins, quelqu’un d’autre que lui. Son empressement de monter les échelons l’avait mené à avoir la grosse tête, même si en fait il peinait à la garder hors de l’eau. Qu’importe, ce serait réglé en moins de deux.


Il se rendit donc, comme convenu, à la morgue du vingtième arrondissement. Il s’invita à l’intérieur, valise à la main, cette dernière de couleur distincte. Contrairement à la mallette grise que les inspecteurs se trimballaient, celle-ci était noire et orné de motifs dorés. Pour les goules, ça soulevait généralement des inquiétudes étant donné l’aspect peu commun de la chose. Pour les inspecteurs, ça pouvait se comparer à un concours de bite. Et la sienne était grosse. Autant que les sacrifices nécessaires pour l’obtenir. L’odeur du formaldéhyde lui chatouilla les narines, le fit grimacer. Il n’aimait pas cet endroit, ne l’avait jamais aimé d’ailleurs. Il n’avait pas de problème à tuer, mais n’appréciait que très peu d’être mis face à face avec ses créations morbides. L’aspect fade de l’endroit ne l’inspirait que très peu, mais une idée saugrenue lui arracha un sourire. Ce serait un repaire de rêve pour des goules.

Il arriva à la seconde porte, cogna cette fois-ci avant de demander:

«Excusez-moi, inspecteur Junpei Fujimoto du CCG. J’aurais besoin de votre aide quelques instants.»

Il avait entendu des gens, donc il ne s’inquiétait pas qu’on lui ouvrirait.

On attribuait aux chiens l’étonnante facultée de sentir la peur à peu près n’importe où. N’était-il donc pas naturel pour un inspecteur, dressé comme un chien, d’être capable du même tour? Il l’avait senti, lui, du moins. Pas assez pour relever des soupçons, mais suffisamment pour lui faire arquer un sourcil interrogatif, alors qu’il suivait la présumée assistante du regard, tandis que l’autre, beaucoup plus confiante se présentait à lui. Il regarda « Xara» partir, concentrant son énergie sur l’autre.

«Hmm, c’est vous qui êtes en charge de l’endroit? Vous m’avez l’air un peu jeune. Qu’importe. Je travaille présentement sur un dossier, une goule plus particulièrement qui serait en lien avec le casino. Pour le moment, il se fait appeler le joueur fou, sauf qu’on a trop peu d’informations pour mener à bien l’enquête. À moins d’un potentiel témoin…qui se repose gentiment dans un sac. Satsuki Hasegawa, ça vous dit quelque chose?»

Il lui tendit un papier contenant une photo. Apparemment, elle connaissait la victime disparue. Leur lien semble pour le moins ambigüe, mais leur destin quant à eux semble se croiser. En effet, les deux ne sont plus là aujourd’hui pour témoigner. À la différence que la demoiselle avait cru bon laisser des morceaux derrière elle.

Il ignora la poignée de main délibérément, laissant la professionnelle agir. Il n’avait pas de temps à perdre, elle non plus sûrement, alors autant se rendre service mutuellement. Toutefois, il cru bon s’interroger sur la troisième personne de l’endroit.

«Votre amie semblait mal à l’aise, y a-t-il un problème?»

Et dans sa tête tournait encore et encore le même scénario, mais pour l’instant ce n’était qu’une mauvaise impression.

Une tension presque palpable oscillait dans l’atmosphère pesante de la morgue. Partagé entre l’indifférence et l’impatience, l’inspecteur ne désirait que des réponses à ses questions pourtant simple. Ce qu’on lui donnait en retour, cela dit, était beaucoup plus compliqué. Visiblement paniqué, il crut aussitôt qu’elle cherchait à se repentir de son côté de goule, chose qu’il trouva trop étrange pour en tenir compte. La majorité d’entre eux agissait par nécessité, mais l’acte en lui-même n’était pas plus juste pour autant. C’est pourquoi ils agissaient, au CCG. Il posa sa valise sur la table, pianota dessus le temps qu’elle reprenait ses esprits, de plus en plus impatient. Il cherchait à demeurer professionnel, cela dit. Il n’exprimait aucune sympathie à l’égard de la médecin légiste et avait-il seulement une bonne raison de le faire? Évidemment que non. Cela dit, le fait qu’elle se présente comme un témoin de l’affaire, vivante de surcroît, l’intéressait davantage que des restants. Il n’aimait pas faire parler les morts, alors il avait tout à gagner ce coup-ci.

«Oh. Je vois.» souffla-t-il, alors qu’elle calma ses sanglots. «Oubliez l’adresse, cela ne m’intéresse plus. Vous, en revanche…» Il marqua une pause, se réinstalla sur son siège et poursuivit.

«Vous dites avoir été témoin de l’attaque, c’est exact? C’est une information qui ne m’a pas été donné et j’avoue sauver plus de temps si vous me transmettez votre version des faits directement. Pourriez-vous me décrire l’individu? Ses affiliations, son apparence, n’importe quoi. Chaque information est utile. C’est votre chance de retrouver la paix d’esprit. Et la mienne de pouvoir l’appréhender et me concentrer sur des cas qui sont plus urgents. Tout le monde y gagne, au final. Du donnant-donnant, vous voyez?»

Avec un peu de chance, il pourra dormir plus que cinq heures cette nuit.

Une tension s’était établie de manière subite dans la salle. Évidemment, les morts n’avaient rien à se reprocher, ce coup-ci. Les révélations fusaient et franchement, plusieurs scénarios lui parcouraient l’esprit. Est-ce que cette goule était vraiment faible? Du moins suffisamment pour laisser deux personnes s’en sortir indemne. Avait-il décidé de les épargner? Pourquoi faire? À moins qu’il n’ait aucune raison de les tuer. Si elles étaient humaines, cela ne faisait pas de sens. Il ne cherchait pas propager la bonne parole par les autres. Il se contentait d’agir. Si elles étaient goules, cela dit, plusieurs raisons pourraient expliquer leur présence ici et leur connaissance d’une goule qui, autrement, n’a quasiment aucune publicité.

L’autre énervée était plutôt agressive, mais son amie fut plus rapide que lui pour la remettre en place. Il esquissa un sourire à son endroit, presque par pitié. Enfin, lorsqu’elle l’intima d’aller prendre l’air, il se leva et marcha doucement vers la porte, bloquant celle-ci.

«Oh non, j’aimerais mieux que vous restiez ici toutes les deux. J’ai une chance en or d’avoir pas une, mais deux personnes qui connaissent apparemment le soi-disant Joueur Fou. Cela dit, il y a un truc qui me chicote. Cette goule n’est pas très populaire à la base et n’a pas, à ma connaissance, de couverture médiatique. Comment se fait-il que vous le connaissez si bien alors que nous-mêmes au CCG avons un mal fou à avoir ne serait-ce qu’un peu d’information sur ses victimes?»

Il sourit doucement, étrangement détendu, épaules relâchées. Il réfléchit un instant de plus avant de lever un doigt en l’air, comme frappé d’un éclair de génie.

«Malgré tout, la réponse à ma dernière question ne m’intéresse pas vraiment. Il y en a une autre qui me travaille plus encore. Comment se fait-il que vous soyez toutes les deux toujours en vie après avoir, je suppose, rencontré ce Joueur Fou? Je ne vous reproche rien, loin de là, je trouve seulement étrange qu’il ne vous ait pas tué. Laisser des gens vivant ne semble pas vraiment faire partie de son modus operandi. Surtout que vous semblez bien le connaître.»

Il soupira avant de poursuivre.

«Écoutez, voilà ce qu’on va faire. Je vous invite à venir avec moi au QG du CCG pour qu’on puisse prendre votre déposition à toutes les deux. Vous serez en sécurité, ne vous inquiétez pas. Vous me suivez?»

Le ton était impératif et ne laisser pas vraiment le choix aux autres. Si elles n’ont rien à se reprocher, tant mieux, si elles sont assez stupides pour venir, alors elles passeront un beau séjour à Cochlea. Par conséquent, il ne restait qu’une alternative. Il leur fit dos, ouvrit la porte et attendit un mouvement de leur part.

Une qui se pousse et l’autre refuse de coopérer. Pouvait-il les blâmer? Sûrement pas, mais dans cette situation précise, il s’agissait là d’un très mauvais choix à tout les points de vue. Parce qu’il avait des procédures à suivre, malheureusement pour elles. Il avait vu le visage de la première, il pouvait le décrire facilement. Seul point négatif, il était inapte à la duplication et devait donc choisir son combat. Avant que la médecin légiste ne commence à parler, Junpei dégaine son fidèle partenaire, téléphone et ne prend même pas la peine de composer un numéro –vive la liste rapide-. Au QG du CCG.

«Ici l’inspecteur de première classe Junpei Fujimoto. J’enquête présentement sur le Joueur Fou. De nouveaux suspects se sont ajoutés, la médecin légiste responsable des corps qui semble en savoir un peu trop pour son propre bien…» clin d’œil rapide en direction d’Aurora «…ainsi qu’une autre suspecte qui n’a jamais été mentionnée. Elle semble connaître le prétendu Joueur Fou. Cheveux rouges assez longs, pas très grande, une bonne poitrine. Elle est présentement dans le vingtième arrondissement. J’aurais besoin d’une équipe pour partir à sa recherche. Les chances qu’elle soit elle-même une goule sont d’environ 60%.»

Il raccrocha le téléphone, pour s’adresser à celle qui avait également refusé de venir avec lui. La suivant jusqu’à la salle d’autopsie. Une légère grimace de dégoût au visage. La vue de la mort ne lui était pas inconnue, cela dit il évitait autant que possible de s’y exposer. Il n’avait jamais compris ceux ayant une trop grande fascination pour des amas de chairs.

«Je comprends votre réticence, mais hélas, ce n’est pas un choix qui est réellement le vôtre. Nous avons des procédures, vous savez. En refusant de coopérer, vous vous attirez uniquement des soupçons quant à votre allégeance. Cela ne prendra que quelques minutes, tout au plus. C’est juste…votre manière d’agir, votre amie louche, vous comprenez? Ce n’est pas contre vous personnellement, mais vous avez l’air de me cacher quelque chose.»

Ses paroles étaient accompagnées de gestes lents, un réflexe qui visait à chercher à fournir des explications convenablement. Il regarda sa montre et lui lança finalement l’ultimatum.

«Je vous laisse cinq minutes pour revenir sur votre décision, sinon j’estimerai que vous refusez de coopérer et toutes les conséquences qui viennent avec ça, compris?»

Son visage était neutre, quoique légèrement embêté par toute cette situation. Néanmoins, il était clair qu’il ne changerait pas sa position sur le sujet. Il avait mieux à faire que de gérer des idioties de ce genre.

«Vous parlez beaucoup, dites donc. Allez, venez, assez perdu de temps.»

Valise à la main, il lui emboita le pas, la laissant prendre les devants. Même si c’était une chose de faite, il était tout de même déçu que l’autre se soit enfuie, mais il lancerait un avis de recherche avec un portrait robot, comme il avait été en mesure de voir son visage. Sa tirade ne l’impressionna guère, mais souleva tout de même une question. Donnait-il l’impression d’être une sorte de juge qui décidait du sort des goules? En soit l’idée ne lui déplaisait pas, mais c’était faux. Des règles à suivre, des codes de conduite, tout était réglementé. À l’instar des goules, les inspecteurs devaient être très rigoureux. Qui laisserait un fou à lier avec des armes en liberté, de toute manière?

«Pour répondre à votre question, non. Par choix et par obligation. Les règles sont très claires à ce sujet. Utiliser le moins de force possible. Mais c’est loin d’être toujours aussi facile. Dans le cas d’un affrontement, on parle alors de la règle du moins de souffrance possible. Aussi simple que ça. Mon travail se résume à débusquer et arrêter les goules. Pour le reste, il y a tout un système qui se charge de gérer les sentences.»

Ils arrivèrent finalement à l’extérieur.