Il était tard. L'obscurité s'était très vite installée dans le onzième arrondissement, il ne restait que les lumières faiblardes de quelques lampadaires pour éclairer les rues de Meguro. C'était une nuit particulièrement sombre ; le ciel ressemblait à une grosse marre de goudron. Cachées derrière un voile de nuages, on distinguait à peine les étoiles éteintes, et la lune, inaccessible, se montrait encore plus lointaine et discrète, avec cette épaisse masse nuageuse qui se dressait devant elle telle une barrière.

Naoto n'avait pas pour habitude de se balader la nuit. Pas dehors … pas tout seul. D'abord, il avait peur du noir. Je ne parle pas de cette terreur enfantine des monstres tapis au fond du placard ou surgissant de sous votre lit. Non, c'était une appréhension bien ancrée et totalement injustifiée. Comme un frisson qui vous parcourt l'échine, des sueurs froides à chaque pas, parce que oh-mon-dieu-c'était-quoi-ce-bruit ; parce que bon sang ce qu'il fait noir et où je suis et mince et en plus TU LE SENS VENIR CE VENT DE PANIQUE oh-mon-dieu ce qu'il fait noir oh-mon-dieu. Bref, une phobie.

Ensuite, il y avait le couvre feu de son internat. Vous aviez tout intérêt à arriver à l'heure si vous ne vouliez pas dormir à la belle étoile. Le blondinet le savait parfaitement. Il ne s'était pas fait surprendre par la nuit. Il n'avait pas traîné dans ses occupations, oubliant l'heure tardive. Tout partait d'une décision hâtive : après une discussion téléphonique haute en couleur entre Naoto et sa mère, il décida de fuguer. Déjà, c'était pas l'idée du siècle, mais notre mini-pouce était très en colère et la colère, ça vous fait faire n'importe quoi. Le plan, d'une grande simplicité, consistait à courir jusqu'à l'appartement de son ami Nobuharu pour s'y réfugier et lui raconter à quel point sa vie était nulle et incomprise.

Mais voilà, arrivé à mi chemin, Naoto commença à se remettre en question. Il hésita. Une petite voix dans sa tête suggéra qu'il devrait prendre un peu de temps pour réfléchir. Alors, il commença à marcher, à errer sans but, jusqu'à se perdre complètement. Il se retrouva finalement dans un petit parc du onzième. Il avait encore les larmes aux yeux. Essuyant son visage d'un revers de manche, il remarqua une femme assise sur un banc. Le garçon se demanda ce qu'elle attendait ici toute seule. Il l'approcha.

« Exc … excusez-moi madame … quelle heure il est s'il vous plaît ? »

Le blondinet tripota les boutons de son manteau d'un air gêné. Il regarda derrière lui à plusieurs reprises, visiblement pas rassuré. Il n'aimait pas cette sensation de solitude. Il se sentait démuni. Tout nu sur la place publique. Ah la la mais qu'il était bête d'oublier ainsi son téléphone à l'école ! Il se demanda si sa mère avait essayé de le joindre depuis leur dispute. Probablement. Elle devait être morte d'inquiétude. Le garçon fit la moue, toujours échauffé par la rancune. Tant pis pour elle. Qu'elle se noie dans ses remords, cette peau de vache !! Elle n'avait qu'à pas l'envoyer en internat. Tout était de sa faute.

« 20h30 ? D'accord, merci madame. »

Répéta le petit blond, prêt à faire demi-tour. C'est alors que l'inconnue osa LA question. Celle que n'importe quel adulte responsable poserait dans cette situation : mais que faisait donc ce petit bonhomme dehors à cette heure-ci ?!

« Euh … je … »

Naoto traîna des pieds sur place, un peu confus. Il ne connaissait pas cette jeune femme. Il ne savait pas comment elle réagirait s'il disait la vérité. Il n'avait pas envie qu'on le traîne de force jusqu'à l'internat, ou qu'on le pousse à rappeler sa mère … il voulait juste être tranquille deux minutes pour ruminer ses problèmes d'adolescent. Mais toute cette histoire, c'était tellement trop pas juste ! Il voulait simplement rentrer chez lui, à Nagoya. Retourner à la maison … il en avait marre des cours et de l'internat, de toutes ces règles fixées par les adultes … et voilà ! Rien que d'y penser, le voilà qui se remettait à chialer comme une gamine. Et que je renifle comme un bébé, et que je tremblotte du menton, ouin, ouin. So much pour sa dignité.

« Je me suis perdu. Mais – snif – ça va aller – snif. »

Lorsque l'inconnue le prit dans ses bras, Naoto se remit à pleurer de plus belle. Même s'il était toujours bien remonté contre sa maman, ce bref contact maternel le fit réaliser à quel point sa famille lui manquait. Il se laissa enlacer par la jeune femme et sanglota doucement contre son épaule. Enfin, doucement … façon de parler, hein. On restait assez loin de la jolie larme qui vous coule le long de la joue, avec un morceau de musique triste en arrière plan, comme dans les feuilletons télévisés. Non, Nao, il pleurait pour de vrai, avec tous les symptômes de l'authentique pleurnicherie ; les yeux rouges, le nez plein, les tressaillements incontrôlables de la bouche qui vous font parler comme un demeuré, le mickey sexy qui vous pend des narines … la totale quoi.

« Désolé – snif. Je vais essayer d'arrêter. »

Le garçon sortit un mouchoir de sa poche pour se vider le nez, parce que bon, s'il commençait à étaler sa morve sur le manteau de la gentille dame, elle deviendrait tout de suite beaucoup, beaucoup moins sympathique. Il hésita quand l'inconnue proposa de le raccompagner chez elle pour essayer de contacter ses parents. Il avait comme un sentiment de déjà vu. Est-ce que ces situations de détresse n'arrivaient pas un peu trop souvent en ce moment … ?

« Je veux bien, mais euh, je voudrais pas vous embêter … »

Naoto tenta d'esquisser un sourire, mais les muscles de son visage étaient encore bloqués en position tremblements ; le résultat tenait plus de la grimace.

« Ah, désolé, ça me reprend, ah ah. »

Il épongea son visage mouillé avec sa manche et prit une grande inspiration, Naoto faisait de son mieux pour maîtriser ses soubresauts. Au bout d'un moment, il réussit à retrouver son calme. Il avait un peu honte de son état. Il leva des yeux encore un peu humides vers la mystérieuse dame aux cheveux rouges et demanda, innocemment.

« Vous attendez quelqu'un ici ? »

Naoto dégaina un second mouchoir dans lequel il se moucha bruyamment, détritus qu'il fourra ensuite au fond de sa poche, entre deux tickets de caisse et un vieux chewing-gum collé qui causerait bien des problèmes à sa mère lors de sa prochaine machine  – la vengeance est un plat qui se mange froid, comme on dit chez nous. Il resserra le col de son manteau car mine de rien, le temps commençait à se faire frisquet. La femme aux cheveux rouges quant à elle, ne semblait pas perturbée par la baisse de température. Visiblement, rester assise seule sur son banc dans le vent glacé, c'était son plan du soir. Naoto trouvait ça un peu bizarre mais bon … pas plus que ces gens étranges qui aimaient attendre dehors sous la pluie, ou encore ceux qui préféraient quick aux mcdonald's.

« Je n'attends personne, j'aime juste rester ici quand j'ai le temps, et arrête de pleurer, tu es un homme ou non ? »

Le petit japonais se redressa brusquement, comme si son honneur venait d'entrer en jeu. Il fronça les sourcils, un peu vexé et pas très conscient de son attitude puérile des dix dernières minutes. Ce mode de conduite était récurrent chez Naoto, et pas seulement dans les cas de tristesse majeure. Il était crédule et un peu niais, et il parlait beaucoup, beaucoup trop, même si sa verbosité légendaire ne s'était pas encore manifestée (mais ne vous inquiétez pas, c'est pour bientôt).

« Je suis grand, j'ai quatorze ans et demi ! Et je pleure plus. »

Protesta le blondinet en croisant les bras contre sa poitrine. Voilà, lui aussi, il pouvait prendre des poses d'adultes. Puis la femme se prêta au jeu du frottage de crâne, un geste qu'il subissait beaucoup trop souvent à son goût. Normalement, il aurait résisté ; Naoto en avait marre de se recoiffer à chaque fois qu'un adulte le trouvait mignon. Mais puisque l'inconnue se montrait aussi gentille avec lui, il se contenta de grimacer et de subir en silence. Heureusement cela ne dura pas longtemps.

« Au fait, mon nom, c'est Naoto. Vous trouvez pas qu'il commence à faire froid là ? Si ça se trouve il va neiger. J'ai pas mon téléphone pour regarder la météo, je l'ai laissé à l'internat. Je sais que j'ai dit tout à l'heure que je voulais pas vous embêter mais plus je traîne, plus je me rends compte que, eh ben demain, je vais me faire taper sur les doigts par le surveillant, en plus il est toujours sur mon dos en ce moment à cause de mes notes. C'est pour ça que je me suis disputé avec ma mère, elle a reçu mon bulletin et elle dit que j'en fous pas une, mais c'est même pas vrai ! Bon si, en fait, c'est un peu vrai parce que je suis pas vraiment à mon maximum non plus … elle trouve que je sors trop, que je devrais étudier plus, parce qu'hier je suis encore allé à l'aquarium et ce week-end il y avait un spectacle d'astronomie dans le vingtième et je voulais y retourner dimanche prochain avec nobu … mais elle croit que c'est facile de vivre en internat ? J'aimerai tellement rentrer à la maison. Mais Nagoya c'est trop loin et puis, il faut que je finisse l'année, mais à ce rythme là je suis bon pour redoubler encore une fois, et j'en ai marre de redoubler. »

Naoto marqua une pause gênée. Zut, il s'était encore emporté.

« Désolé, je sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. Je peux utiliser votre téléphone madame ? »

L'inconnue bienveillante tendit son portable à Naoto pour qu'il passe son coup de fil, ce dernier la remercia en exécutant une petite courbette avant d'attraper l'appareil. Le téléphone entre les mains, il resta indécis un instant et prit le temps d'évaluer calmement sa situation. Qui valait-il mieux appeler dans ce cas précis ? Sa mère, histoire de la rassurer mais aussi de l'inciter à prendre sa défense lorsque les vilains pions du pensionnat lui reprocheraient son absence ? Un camarade de classe ? Ou un ami adulte qui accepterait de se déplacer jusqu'ici pour le raccompagner à l'internat ? La réponse à cette question n'avait guère d'importance car quand le petit blond commença à saisir son numéro, l'écran de l'appareil resta noir et figé.

« Euh, il s'allume pas ! »

Naoto fit un dernier essai qui se solda par un échec. Le téléphone, qui n'était pourtant pas éteint, ne sembla pas très réactif face à cette ultime tentative. D'ailleurs, il ne s'alluma pas non plus. Il était visiblement à court de batterie.

« Ah, vous aussi vous avez des problèmes de batteries ! Parce que moi mon téléphone il s'éteint tout le temps, c'est très agaçant, je pense que c'est depuis que je l'ai fait tomber le mois dernier et maintenant c'est de pire en pire – ou alors c'est peut-être quand il a fait un plongeon dans le lavabo en cours de sciences … mais pourtant je l'avais bien séché avec la technique du sac hermétique et des grains de riz et tout et puis il s'était rallumé après alors je sais pas trop quoi en penser, Hina dit que je l'ai mal fait mais je vois pas comment on peut rater ça ! Et puis ok je suis très nul en maths, et pas qu'en maths d'ailleurs, mais ça va, je suis pas un infirme non plus. En tout cas ma mère veut pas m'en racheter un neuf à cause de mes notes alors du coup … pffffff la grosse galère ! Je suis obligé de le recharger tout le temps c'est rageant, je vais peut-être finir par m'en acheter un moi-même mais rohlala comment ça coûte trop trop cher ! Et en plus bon, moi j'ai que quatorze ans alors je peux pas travailler, il faudrait que je trouve un petit boulot mais je sais pas … je suis pas très doué pour euh, faire des trucs. Toru – c'est mon meilleur ami – il dit que c'est pas que je suis bon à rien mais que je suis mauvais en tout. »

Naoto rendit le portable à sa propriétaire.

« Et vous madame vous faites quoi dans la vie ? »

Demanda le jeune garçon avec son indiscrétion habituelle, un sourire illuminant son visage d'ange.

Naoto écouta attentivement la réponse de la jeune femme, les oreilles grandes ouvertes. Il était toujours ravi de rencontrer de nouvelles personnes et d'en apprendre davantage sur elles. En parlant avec l'inconnue, sa peur du noir et son chagrin avaient peu à peu disparu. Il s'amusait tant qu'il en oubliait presque sa fugue. Seules les larmes séchées sur ses joues rappelaient que, dix minutes plus tôt, ses yeux rouges faisaient de la concurrence aux chutes du Niagara. Quand la femme lui retourna sa question, Naoto adopta une pose méditative. Ce qu'il voulait devenir plus tard … ? Une main calée sur son menton, il examina la question sous tous les angles et arriva à la conclusion suivante : il n'en avait strictement aucune idée. Il haussa les épaules avant de reprendre la parole.

« J'en sais trop rien. Je l'ai déjà dit mais, à la base, je suis pas quelqu'un de très doué. J'ai pas de talent caché comme mes amis et je suis nul en cours et puis j'ai pas spécialement de passion. Alors … voilà, c'est compliqué. »

Le blondinet aurait pu s'en tenir là. Il aurait pu monopoliser la conversation en récitant le planning de son dernier week-end ou de ses sorties sur les six prochains mois. Changer de sujet, c'était l'une de ses spécialités. Mais cette question le tracassait vraiment. Le silence s'installa pendant huit bonnes secondes avant que Naoto n'enchaîne, sans laisser à la femme (dont il ignorait toujours le nom) le temps de répliquer.

« C'est difficile comme question ! Des fois je me dis, ce serait tellement plus simple si tout était comme dans les mangas. Si les gens pouvaient ouvrir leur vie au dernier chapitre et prédire l'avenir, s'ils savaient ce qui les attendait, ils perdraient pas leur temps avec des histoires de pacotille. D'un autre côté, si on connaissait le futur, on ferait tout pour éviter les problèmes n'est-ce pas ? Les malheurs, les pas d'bol … ça deviendrait vite n'importe quoi parce que personne n'aime perdre et puis, la malchance, c'est relatif, ce qui est mauvais pour quelqu'un est bon pour un autre, du coup on s'en sortirait jamais. »

Silence embarrassé.

Comment ça, il faisait du hors sujet ? La jeune femme devait se poser de sacrés questions sur son compte, elle le trouvait sûrement bizarre avec ses tirades interminables et ses idées tordues. Naoto s'éclaircit la gorge, il fallait rectifier le tir.

« Je suis jamais allé dans un casino parce que je suis trop jeune alors ils me laisseraient pas entrer de toute façon. Est-ce que c'est comme dans les films ? Il y a des machines à sous et tout ? Et les gens, ils sont tous bien habillés là bas ? Est-ce qu'il y a des méchants qui viennent aussi ? Dans les films, il y a toujours des mafieux dans les casino, avec des costumes noirs et des lunettes de soleil, et ils jouent aux cartes ou aux dominos dans une pièce secrète, et après … après il y a une serveuse qui entre discrètement dans la zone VIP pour chuchoter à l'oreille du chef des méchants et là le héros arrive et ensuite le FBI et ensuite le SWAT et c'est quoi  le second métier que vous voulez faire au fait ? »

… et l'inconnue se retrouvait à nouveau ensevelie sous les questions. Naoto commença à sautiller sur place pour se réchauffer, pfiou, quelle galère !  Il ne savait pas si c'était à cause du froid ou de la déshydratation, mais il ne pouvait pas s'empêcher de sortir des âneries aujourd'hui. Il était ridicule.

Naoto en resta bouche bée. Médecin légiste ? Eh ben, ça alors ! Il ne s'attendait pas à cette réponse. Comment passait-on d'un poste dans un casino à celui de découper/autopsier des cadavres ? C'était bizarre. Et puis, la jeune femme n'avait pas mentionné son métier avec précision, juste son lieu de travail. Elle pourrait tout aussi bien être serveuse, escorte, garde du corps, chauffeuse de limousine, ou que sais-je encore … cuisinière ? Ils devaient bien y avoir des restaurants dans les casinos, hein, les clients, ils mangent ! Naoto plissa des yeux en observant la femme aux cheveux rouges, comme pour mieux l'analyser. Comparé au petit blond, qui pouvait parler de la pluie et du beau temps pendant des heures sans s'arrêter, elle restait plutôt secrète. Au fond, elle se contentait de répondre aux questions de Nao, sans valeur ajoutée ; elle n'exprimait rien de plus que ce que le collégien demandait.

« Si tu veux, demain je t'emmène dans le casino où je travaille et tu verras de toi même d'accord ? Je dirais à tes parents que c'est pour découvrir un métier. »

Naoto arrêta de la dévisager et se mit à piaffer d'excitation, tout content de cette proposition. Puis, il nota la présence du mot parents dans la phrase et son visage se rembrunit aussitôt. Zut. Si l'accord de sa mère était nécessaire pour que cette visite s'organise, aucune chance. C'était perdu d'avance.

« Je pense pas que ma mère sera d'accord. »

Avoua le garçon, un peu dépité. Trop injuste … Il baissa la tête, fixant ses lacets avec une mine boudeuse, et commença à grommeler, la partie intelligible se trouvant ci-dessous.

« Déjà, parce qu'elle m'a engueulé en disant que je travaillais pas assez, elle va croire que c'est un prétexte pour sortir. Et puis elle va me demander qui vous êtes et comme je vous connais pas, elle dira non c'est sûr de sûr … même quand je mens, ma maman, elle a un genre de sixième sens ! Elle découvre toujours la vérité. C'est ultra flippant. En plus, si je lui dis que vous êtes médecin légiste, là, je sais pas trop ce qu'elle va en penser, parce que même moi je trouve ça un peu bizarre ! Ah. Mais je veux pas dire que vous êtes bizarre hein, je veux dire, c'est juste que c'est un peu surprenant. »

Il releva la tête en se mordillant les lèvres. Est-ce qu'il venait de dire à cette femme qu'il la trouvait bizarre ? Oh. La. Gaffe.

« Euh, euh … Je veux dire, quand on vous regarde, on se dit pas oh-la-la-la-la, elle, elle bosse dans un casino ! Et en plus, elle est médecin légiste ! Euh …  J'aimerai bien venir. »

Puisqu'il l'avait insultée, ou du moins critiqué sa profession, Naoto pensait vexer la femme aux cheveux rouges. Peut-être même que, déçue, elle s'en irait en le laissant planté là. Il l'avait qualifiée de bizarre. C'était un mot à facettes multiples, une appellation aux définitions plus ou moins sympathiques. Il y avait le bizarre « unique », le  bizarre « curieux » et le bizarre « ridicule » qui, quant à lui, était clairement péjoratif. Bref, un mot pareil, difficile de le prendre pour un compliment. Y'avait des gens qui s'offusquaient pour beaucoup moins que ça. Surtout les filles ! Elles criaient au scandale pour des bricoles, c'était à n'y rien comprendre. Mais la maladresse de Naoto ne froissa pas l'inconnue, qui se prit à rire quand le petit japonais fit sa remarque. Tant mieux : il ne voulait pas la contrarier, elle s'était montrée si gentille jusque là. N'empêche que, étrange, elle l'était un peu … ça ne faisait même pas une heure qu'ils discutaient tous les deux, mais elle l'avait déjà invité chez elle, puis sur son lieu de travail, puis à des cours particuliers, et pourtant … pourtant, il ignorait toujours son nom. Surprenant !

« J'aime pas les cours. »

Lâcha le collégien à la mine renfrognée.

« Je sais bien que si je fais des progrès, ma mère sera contente … et si elle est contente, elle me laissera tranquille, et je serais plus privé de sortie à chaque nouveau bulletin. Le truc, c'est que je fais pas exprès d'être nul. Je comprends vraiment rien. Et puis j'ai essayé de réviser, mais j'arrive pas à retenir mes leçons, alors j'ai abandonné, parce que bon … »

Pour ne rien changer à ses habitudes, il s'était mis à réfléchir à voix haute, exposant ses pensées décousues au fur et à mesure qu'elles bourgeonnaient dans sa tête.

« J'ai essayé d'apprendre tout par cœur, mais juré, j'y arrive pas. Ça entre par une oreille et ça ressort par l'autre. »

Se défendit Naoto sans conviction. Il allait enchaîner sur une série d'excuses plus ou moins acceptables, mais le temps changea soudainement et une pluie de grêlons s'abattit sur eux. Ce brusque retournement climatique le coupa net dans son élan. Les petites boules blanches rebondirent sur son crâne et se glissèrent dans ses boucles blondes jusqu'à ce que la jeune femme ne décide de l'abriter sous son manteau. Elle lui proposa de se mettre à l'abri. Naoto hocha la tête en signe d'accord. Il se mit à claquer des dents, saisi par le froid.