Kaine c'est l'Isolation. Indifférence affichée envers les autres, proches comme étrangers. Il ne cherche pas le contact, fait comme si il n'en voulait pas. Mais intérieurement il attend juste que quelqu'un l'aide, que quelqu'un le sorte de l'enfer qu'il s'inflige lui même, même s'il ne l'avouera jamais.

Kaine c'est la Peur. De chasser, de tuer, mais aussi Peur de mourir, d'être tué. Alors à contre-coeur, quand il y est obligé il chasse, pour ne pas mourir, pour ne pas disparaître. Mais toujours avec maladresse, car comment devenir Prédateur lorsque l'on se refuse à chasser ? Les capacités innées ne suffisent pas, l'expérience est nécessaire. L'expérience c'est ce qui lui manque.

Kaine c'est la Maladie, le Malaise, le Malêtre. Non content d'être une Goule mal nourrie parce qu'il refuse de chasser, il est aussi albinos. Son teint est pâle, ses yeux sont rouges. Une condition déjà rare chez les Humains mais quasiment inexistante chez les Goules. Alors forcément, il attire les regards, on le toise comme une chose anormale, difforme. Les Humains, comme les Goules le regardent avec appréhension, contribuent à son malêtre, à son envie de disparaître loin de leurs yeux, à son isolation.

Kaine c'est l'Envie. Que les choses changent, que le monde change. L'Envie que les Humains et les Goules cohabitent. L'Envie d'un rêve utopique. D'un monde où lui et les siens ne seraient plus pourchassés, où il pourrait errer dans les rues à sa guise sans peur qu'on le dévisage pour son apparence, pour ce qui se cache au fond de lui.

Mais Kaine c'est aussi la Faiblesse, alors il ne dit rien, il ne fait rien. Il se contente de survivre dans un monde qui ne l'accepte pas, qui ne le fera probablement jamais. C'est aussi cette Faiblesse qui l'empêche de mourir. Trop Peureux pour réellement vivre, mais trop Faible pour tout laisser partir, pour tout abandonner.

Lorsqu'il est né Kaine n'a pas tiré le gros lot de la loterie universelle. Le Destin l'a vu et a du se dire que de naitre Goule n'était pas suffisant. Alors dans son infinie cruauté le Destin l'a marqué, pour qu'il soit reconnaissable, pour que l'anonymat nécessaire à la survie des Goules ne lui soit pas accordé. Kaine est né Goule. Kaine est né Albinos. Kaine est né destiné à souffrir.

Il a grandit aussi normalement qu'une goule albinos le peut, dans une famille composée de ses parents et de deux frères plus âgé. En étant plus jeune il n'avait pas besoin de chasser, c'était le rôle de son père, qui ramenait de quoi nourrir la famille. Mais en grandissant on attendait de lui qu'il participe, tout comme ses frères le faisaient. Seulement lui ne voulait pas. Il n'aimait pas la chasse. Il n'aimait pas tuer. Il n'aimait pas sortir. Chaque fois qu'il mettait un pied dehors les gens le dévisageaient, comme s'il était un chien dangereux qui risquait de leur sauter dessus, comme s'il était une bête difforme qu'on ne pouvait s'empêcher de plaindre, mais qu'on ne voulait pas approcher pour autant.

Pendant un moment, son père a refusé de le nourrir, pour l'obliger à chasser. L'expérience ne s'est pas révélée très fructueuse. Il est sorti de la maison. Il a tué un humain. Il l'a mangé. Et il a failli se faire attraper par un enquêteur du CCG. Alors au bout d'un moment ses parents ont abandonné l'espoir de faire de lui une Goule digne de ce nom. Il connait les bases pour s'en sortir, mais ne fait pas d'effort pour tuer des humains et se nourrir. Suite à ça, ses parents lui ont gentiment demandé de quitter la maison. Il avait 16 ans, il n'allait pas à l'école, il ne voulait pas chasser. Ses parents ne voulaient plus de lui. S'il refusait de vivre comme eux, il devait partir. C'est ce qu'il a fait. Heureusement pour lui ses parents, même s'ils sont des Goules ne sont pas des monstres, et payent le loyer du miteux appartement qu'ils ont trouvé pour lui. Il n'a rien de luxueux, mais c'est un toit sur sa tête. Cela permet à ses parents de ne plus le voir dépérir tout en ne le laissant pas non plus totalement dans la misère. C'est leur dernier geste pour lui, à part cela il n'a plus aucun contact avec eux.

Abandonné à lui même, on pourrait croire qu'il serait rapidement mort, mais ce n'a pas été le cas. Il a survécut, grâce aux quelques 'amis' qu'il avait, mais principalement grâce à Toki. Dans le 23eme il y a beaucoup d'enfants Goules sans parents qui se sont regroupés, survivants ensemble dans cet horrible monde. Toki est l'un d'eux. Et aussi étonnant soit-il la jeune Goule semble apprécier Kaine, car il lui rapporte de quoi manger aussi souvent qu'il le peut. Ce n'est pas réellement suffisant pour une Goule de son âge encore en pleine croissance, mais cela suffit à le maintenir en vie. Même si Kaine ne lui dira certainement jamais, il apprécie la présence de la jeune Goule à ses côtés. Parfois l'autre vient le voir, juste pour discuter, juste pour être avec lui, sans rien demander, sans rien attendre en retour. Alors derrière son masque d'indifférence Kaine souris intérieurement des moments passés en sa compagnie. Mais Kaine est craintif, Kaine est méfiant. Car dans ce monde, personne ne donne sans jamais rien attendre en compensation. Alors il attend. Il attend le moment où Toki demandera à se faire payer tous ces services rendus. Il attend et il craint. De perdre un ami. De perdre Espoir.

Malgré son aversion pour la chasse, Kaine refuse tout autant la mort. Alors parfois quand la faim le tiraille, quand la faim devient trop forte, il cherche un cadavre dans le 23eme, un clochard, un suicidé, tout ce qu'il peut trouver. Et quand vraiment il ne trouve rien, il se résout à tuer, il se résout à chasser. C'est comme ça qu'il  rencontre Shion. Il est affamé, il n'a rien avalé depuis des jours, il ne sait pas quand Toki va revenir, alors il est sorti par lui même. Il a erré dans les rues malfamées pendant des heures, cherchant en vain une personne déjà morte, mais n'en a pas trouvé. Pendant un instant il considère rentrer chez lui, il considère attendre Toki, mais il ne peut pas continuellement dépendre d'un adolescent plus jeune que lui pour survivre. Alors il cherche une proie facile, une proie qui ne criera pas, qui ne se débattra pas. Qui ne lui échappera pas.

Il arpente les rues, et finalement il croise un homme, un vieillard. Les vieillards sont des proies faciles, ils n'ont pas de résistance, ils sont les seuls qu'il peut chasser correctement. Le vieil homme est au bout de sa vie, il n'en aurait plus pour longtemps de toute façon. Alors Kaine le suit de loin, jusque dans une ruelle. C'est là que Kaine agit. À la faveur de la nuit tombante, dans cette ruelle éloignée de tout passage, la Goule tue le vieil homme et puis le mange, sans autre forme de procès. Le masque blanc posé sur le côté, les mains plongées dans les entrailles du vieil homme, l'Albinos mange comme il n'a pas mangé depuis des semaines, depuis des mois.

Kaine avec toutes ses déficiences physiques n'a pas les sens très développés. C'est pour cela, -ou parce qu'il est tellement absorbé dans son repas- qu'il n'entend pas l'autre arriver. Pas avant qu'il se soit enfoncé dans la ruelle. Pas avant qu'il ne le voit, le visage découvert, la bouche ensanglantée, un morceau de chair dans la main. Le garçon a vu son visage, il ne peut rien faire d'autre que le tuer. Il n'as pas le choix, c'est la règle. Le garçon ressemble à un lapin pris dans les phares d'une voiture. Il ne bouge pas, reste là, tremblant, sans même chercher à fuir. Doucement l'Albinos saisis son masque, doucement il se relève, comme pour ne pas effrayer un animal sauvage, pour ne pas que le brun s'enfuit en courant. Pour ne pas qu'il s'enfuit en criant. Et doucement le Blanc s'approches de lui. À pas lents, à pas prudents. Mais il ne bouge toujours pas, les yeux fixés sur la Goule qui avance vers lui. L'espace d'un instant Kaine se voit à la place du garçon. La première fois que son père l'a emmené chasser. La première fois qu'il a vu un homme mourir devant lui...

Alors Kaine ne frappe pas. Il ne peut pas. Ça serait comme se tuer lui même. Ça n'a aucun sens, mais sur le moment c'est parfaitement logique. Alors l'Albinos, grave dans sa mémoire le visage de celui qui détient son destin entre les mains sans même le savoir. Il porte un doigt ensanglanté sur ses propres lèvres, faisant signe au Brun de garder le silence, et remettant son masque sur son visage il passe à côté de lui, le frôlant. Et il s'en va, persuadé que l'autre ne dira rien, craignant qu'il le fasse.

Après cette rencontre, il est resté enfermé des semaines dans son appartement, refusant de sortir, refusant même de voir Toki.