S'il fallait énumérer les activités préférées de Naoto, le trio de tête serait bien évidemment lire des mangas, se péter la panse aux bonbons et cuisiner. Encore que … regarder Nobuharu s'agiter aux fourneaux et engloutir tous les petits plats mijotés par ses soins sonnerait plus exact, car le blondinet ne mettait jamais la main à la pâte. Il préférait de loin manger. La nourriture ne l'intéressait qu'une fois posée dans son assiette ! Enfin bref. A la suite de ce top trois, on trouvait toutes les sorties culturelles du blondinet, ses visites régulières à l'aquarium, au zoo et à tout plein de salons qui traitaient de sujets divers et variés comme l'astronomie, la préhistoire, la photographie à travers le temps, les pyramides d’Égypte … et puis, après tout ça, il y avait bien sûr le shopping.

Le petit japonais pouvait passer des journées entières à faire du lèche vitrines. Il aimait par dessus tout l'ambiance électrique des centres commerciaux bondés, les boutiques et leurs devantures joliment décorées, la foule fébrile qui se démène à l'annonce de nouvelles offres … alors forcément, en période de soldes ! C'était juste sensass ! Toutes ces étiquettes tape-à-l’œil et ces slogans alléchants, ça lui tournait la tête comme une pastèque. Naoto était excité comme une puce. Il bondissait d'un magasin à l'autre avec de grands yeux pleins d'étoiles. Le garçon n'avait pas deux sous en poche alors aucune chance qu'il profite de tous ces rabais exceptionnels, mais ça ne l'empêchait pas de participer aux hostilités. Il était le premier à sauter partout quand les hauts parleurs révélaient une promotion à ne pas rater. Une vraie sauterelle.

Sauf que bon, voilà, sautiller à droite à gauche c'est bien, c'est mignon tout plein, mais quand vous tenez un smoothie dans les mains c'est un peu chercher les emmerdes. Alors l'inévitable arriva au grand galop. Le collégien percuta une jeune femme qui passait par là et l'entraîna dans sa chute, renversant par la même occasion le contenu de son gobelet sur ses jambes. Ouille … la pauvre, son jean sentirait la fraise pendant des heures après ça. C'était dommage, un smoothie aussi délicieux ! Et en plus, c'était une recette spéciale Naoto ! Le chef avait rajouté un tas d'ingrédients en supplément exprès pour lui. Une cerise, des copeaux de chocolat, des morceaux de banane, etc … quel gâchis, vraiment.

« Oh, dé … désolé !! »

Balbutia Naoto en se relevant. Il se mit à rougir lorsqu'il constata l'étendue des dégâts. Oh la la, la catastrophe ! Et tout était de sa faute naturellement. Le garçon ne savait plus où se mettre. Il commença à s'affoler, gesticulant autour de la demoiselle en détresse, s'inclinant devant elle en guise d'excuses. Sa maladresse légendaire avait encore frappé.

Naoto regarda la victime de sa balourdise se relever et essuyer les tâches de smoothie qui parsemaient son pantalon. Ses oreilles étaient encore rouges d'embarras. Si le blondinet s'en voulait à mort – il se considérait seul responsable de cet accident – la demoiselle, elle, ne semblait pas l'en blâmer. Il ne reçut aucune réprimande de sa part. Pourtant, il aurait aimé disparaître sur place, s'enfuir dans un terrier ou se réfugier dans sa carapace comme une tortue. Mais il restait là, les bras ballants. Il ne savait pas comment réagir et attendit donc que la jeune femme l'engueule copieusement pour son incompétence. Ce qui n'arriva pas. Décidément, il en avait de la chance.

« Hal, hala, voilà qui est amusant. je suis désolée je ne t'avais pas vu. Si tu veux, je te propose de me guider jusqu'où tu as trouvé ce, cette boisson à la fraise. Je t'en offre une autre. Et ne t'en fais pas pour mon pantalon, je venais justement en acheter des nouveaux. »

« C'est un smoothie. »

Corrigea Naoto en désignant son gobelet. Il réalisa alors que, reprendre la femme qu'il venait de percuter, ce n'était pas très correct. Même si qualifier un smoothie de vulgaire boisson relevait du blasphème. C'était un peu comme confondre le foie gras avec une tranche de pâté … un affront culinaire.

« Non non, c'est bon ! C'est entièrement de ma faute alors, ne vous embêtez pas pour ça. Après tout, c'est moi qui vous ai bousculée madame !! J'aurais du regarder où je mettais les pieds. Et puis de toute façon je ne les finis jamais, ah ah. »

Naoto attrapa le paquet de mouchoirs tendu par la femme et s'en tamponna la joue, ponctuant sa phrase d'un rire forcé. Mensonges. Il finissait TOUJOURS ses smoothies. Jusqu'à la dernière gorgée. TOUJOURS. D'ailleurs, le japonais terminait TOUJOURS son assiette. Il ne laissait jamais une miette d'un plat derrière lui. Un vrai carnivore. Et il mangeait pour quatre, alors … parfois, sa mère se demandait si son fils n'était pas un alien avec trois estomacs à remplir. Mais jusqu'à preuve du contraire, ce n'était qu'un adolescent en pleine croissance.

Il scruta la jeune femme avec des yeux ronds. A l'évidence, elle bluffait. Il était conscient du piège. Tout ceci n'était qu'une ruse habile, un stratagème visant à … lui offrir un smoothie ? Non, ça ne collait pas. Il y avait anguille sous roche. Hum. Naoto analysa la situation. Il retourna le sujet dans tous les sens à la recherche du traquenard, que dis-je, du hameçon caché derrière ce leurre appétissant. Mais comme un poisson dans l'eau, il ne voyait que le ver juteux au bout du fil, l'appât gesticulant qui mobilisait toute son attention ; le smoothie. Naoto se laissa amadouer par l'inconnue et sa promesse.

« Euh … euh … D'ACCORD ! »

S'écria subitement le blondinet. Un peu trop fort peut-être ? Le regard réprobateur des passants qui se retournèrent à cet instant le laissait croire. Naoto ne voulait pas qu'elle mette sa menace à exécution. Il reprit alors, plein d'entrain :

« Il y a de tout ! Des smoothies à la fraise, à la banane, à la cerise, à la pêche, à l'abricot … »

Le garçon faisait le décompte sur sa main, abaissant un doigt à l'annonce de chaque nouvel ingrédient.

« … au kiwi, à la pomme, aux cranberries, au melon, à l'orange, aux raisins, aux myrtilles, à la mangue, à l'ananas, à la framboise … j'ai déjà dit l'abricot ? Ce qui est génial, c'est qu'on peut faire des mélanges et rajouter plein de trucs ! Comme euh, du miel, de la menthe, du sirop de grenadine, de la cannelle, du gingembre, de la vanille, de la noix de coco, de la noix de muscade, du lait normal, ou alors du lait de soja, ou encore du lait d'amande, oh, et du chocolat au lait … mais en général, je choisis des smoothies déjà faits parce que si on fait une mauvaise combinaison, eh ben, c'est dégueulasse. »

Naoto ponctua sa réplique d'une grimace. Il n'aimait pas les smoothies salés non plus … Il saisit alors la femme par la manche pour l'entraîner à l'autre bout du centre commercial.

« C'est par là ! »

Le blondinet se faufila à travers la horde d'acheteurs qui, avides de bonnes affaires, s'agglutinaient devant les vitrines et gênaient la circulation dans les couloirs (pourtant relativement larges) du centre commercial. Par deux fois, il évita la collision frontale avec un caddie. D'abord celui d'une ménagère un peu perdue, puis celui d'un homme d'affaire, la trentaine, en costard cravate, l'épaule scotchée à son téléphone. Il se retourna à six reprises pour vérifier que son accompagnatrice le talonnait toujours. Dans ces passages grouillants de monde, Naoto se laissait facilement distancer … quand il la perdait de vue, il attendait patiemment, jusqu'à ce qu'elle arrive à son niveau, avant de reprendre son trajet d'un pas énergique.

« Il y a tant de monde ! Presque autant que les parfums que tu m'as cité ! »

La plaisanterie fut un vrai flop. Naoto, à côté de la plaque, ne décela pas le second degré dans cette réplique. Il jeta vers la femme un regard incrédule, comme si elle venait d'énoncer une évidence, une lapalissade du style, l'eau ça mouille, etc.

« Ben ouais, c'est les soldes ! »

Lança le collégien du tac au tac. Il évita une petite grand-mère bien décidée à faire rouler son cabas sur ses orteils.

« Moi, je suis venu juste pour l'ambiance ! J'ai plus d'argent de poche alors je peux pas acheter grand-chose mais j'aime bien voir tous ces gens courir partout avec leurs caddies remplis à ras bord et leurs sacs prêts à craquer … et avec toutes ces promos, c'est un peu comme si c'était noël avant l'heure ! La foule, ça me dérange pas ; quand y'a du monde, je trouve que ça donne au quartier un second souffle, un air un peu plus vivant, même si en général les passants regardent pas trop où ils mettent les pieds et, comme je suis assez petit, je me fais souvent marcher dessus. Bon, je regarde pas trop où je vais non plus alors … euh … c'est comme ça que je me retrouve à percuter des gens et à les arroser de smoothie, héhé. »

Il esquissa un sourire gêné en se frottant la nuque. Toutefois, son embarras fut de courte durée : dix secondes plus tard, l'adolescent interrompait sa course.

« Ah, c'est là ! »

S'écria Naoto, le doigt pointé vers un commerce à la devanture très colorée. Une enseigne, avec une licorne et un ours blanc en guise de mascottes, coiffait l'entrée de la boutique et en rappelait le nom : le smoothie shop. Le petit japonais entraîna l'inconnue à l'intérieur, ouvrant toujours la marche. Il se glissa habilement au milieu des clients attroupés autours des caisses et mit la main sur un dépliant abandonné sur une table.

« Voilà les menus ! Et là, c'est la liste de tous les ingrédients pour si vous voulez, euh, personnaliser votre smoothie. »

Il sourit à la jeune femme en lui tendant le prospectus, un feuillet rose à paillettes de quatre page.